16 juillet 2020
Diversité, discrimination, domination : la culture doit-elle aussi revoir sa copie ?
Depuis près de 4 décennies,
le sujet de la diversité bouscule les sociétés démocratiques. Avec le temps, la question n'a cessé de se pluraliser, révélant la demande de
nouveaux droits et s'entremêlant avec la problématique des discriminations. Aujourd'hui, dans le sillage de
#MeToo ou du mouvement
#BlackLivesMatter, des voix s'élèvent contre des formes de domination toujours présentes. Malgré les efforts que les pouvoirs publics et les acteurs de terrain ont consacré à la promotion de la diversité et à la lutte contre les discriminations, des inégalités demeurent.
Le champ culturel n’est pas exempt de ces controverses.
L’Observatoire n°56 fait écho à l’actualité et consacre son dernier numéro aux nouvelles manières d’agir contre toutes les formes de domination et de discriminations dans la culture.
Comment discerner ce qui relève aujourd'hui d'une
problématique de diversité ou de discrimination ?
s'interrogent en ouverture de numéro Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez. Un article de
Michel Wieviorka permet de prendre la mesure de l'évolution du débat des années 60 à aujourd'hui et de saisir les soubassements des différentes thématiques mises en valeur au cours du temps au nom de la diversité. Pour
Laure Bereni, le terme est devenu
une norme consensuelle des démocraties. Son succès auprès des élites tiendrait à sa capacité à masquer les hiérarchies entre groupes sociaux. Sous ce vocable de « diversité », précise Damien Saverot, les sociétés occidentales
évoquent pudiquement des problématiques embarrassantes : les questions d’immigration, d’intégration ou les banlieues.
Cette notion de diversité est-elle toujours opérante pour comprendre des questions de société qui traversent le monde actuel ? L’Observatoire est allé à la rencontre d’acteurs de terrain qui racontent leurs expériences. Ces paroles mettent en valeur des stratégies de petits pas, d'affirmative action pour bousculer le système et tenter d’agir concrètement en faveur d’une plus grande égalité et diversité. Arnaud Meunier
relate le succès de la création en 2014, à la Comédie de St-Etienne, d’un programme
« Egalité des chances » destiné à favoriser l’accès aux écoles supérieures d’art dramatique de jeunes gens issus des minorités. « J’ai trop vu de projets
où les artistes arrivent soit comme des pompiers soit comme des sachants » commente de son côté Alexis Moati. Le metteur en scène restitue dans une interview son approche de la diversité :
une aventure théâtrale extraordinaire de 3 ans avec de jeunes marseillais des quartiers nord et du centre-ville consistant à les associer à la vie d’une compagnie de théâtre. Il est question aussi de nouveau militantisme avec
le mouvement Décoloniser les arts qui rejette le terme de diversité par la voix de Leïla Cukierman. Le monde culturel
récupère les inventions artistiques des minorités en les vidant de leur substance condamne-t-elle et de préciser, « ainsi procède le marché du rap. Ainsi le secteur public intègre, en l’apaisant, la danse hip-hop ».
Le numéro aborde également les
discriminations envers les femmes. Anne Grumet
fait le point sur le sexisme à l’œuvre dans le secteur culturel « qui entretient une "illusion de l’égalité" ». Elle décrit le principe
d’éga-conditionnalité, une piste pour encourager la transition égalitaire. Avec
l’association La Petite, Anne-Lise Vinciguerra propose, quant à elle, entre autres,
des ateliers pour redonner du pouvoir d’agir aux femmes artistes et les aider à lever les freins à leur carrière.
Si Si les femmes existent, fondée par Anne Monteil-Bauer, contribue à l’écriture d’une Histoire égalitaire et agit pour
redonner leur place à des femmes confinées dans l’oubli et qui ont pourtant compté.
Le dossier de
l'Observatoire apporte un éclairage particulier à une actualité foisonnante, le débat sera prolongé lors d'une
rencontre proposée par le ZEF et l'OPC à Marseille le 3 novembre. L'analyse de la presse permet, en outre, de compléter l'approche de l'OPC.
La Scène consacre un dossier au thème
« Liberté, égalité, diversité », avec « un état de lieux de l’expression de l’ensemble de la population dans le spectacle vivant aujourd’hui,
sans optimisme forcené ni pessimisme à outrance ».
Le Monde décrypte les origines et le sens du
nouveau vocabulaire de l’anti-racisme tels que « Privilège blanc », « racisé », « décolonial ». Dans The conversation, Alice Krieg-Planque explique que « tout engagement est inextricablement lié à des mots, dont les acteurs politiques et sociaux
s’emparent pour promouvoir leur cause et défendre un point de vue ». Ary Gordien
analyse la question de l’appropriation culturelle : « ce ne sont pas l’imitation et les emprunts qui posent problème en soi, mais plutôt la domination sur laquelle elle se fonde ». « Aux États-Unis et au-delà , le rock and roll est-il bien plus souvent associé au nom d’Elvis Presley qu’à celui de ses prédécesseurs et contemporains noirs ». Dans
Slate, Lucie de Perthuis s’intéresse au
déboulonnage de statues à La Réunion où les évènements « font écho Ã
des problématiques plus larges liées à l’identité et la culture créole ». L’héritage colonial a laissé des traces avec une culture créole sous-valorisée et des inégalités raciales qui perdurent dans une société métissée.
Iris Brey, interviewée par Victoire Tuaillon, décrypte
l’importance des images de cinéma dans la constitution de notre imaginaire et notre manière de regarder le monde. Si 80 % des films français sont réalisés par des hommes, il est
préoccupant de recevoir si peu d’images issues d’un point de vue féminin. Dans
Slate, on lit que le Louvre compte
seulement une trentaine de peintures signées de femmes artistes. « Plus le budget d’un musée est important, plus les chances d’y trouver une femme directrice se réduisent »
déplore l’anthropologue Johnnetta Betsch Cole citée dans un texte d’Alexia J. Casanova.
La même anthropologue questionne l’inclusion de personnes de couleur dans les postes décisionnaires des institutions culturelles. « Un visiteur entrant dans un musée où personne (…) ne lui ressemble (…) sera certainement moins enclin à revenir » explique-t-elle. Dans
le Quotidien de l’art, Audrey Gouimenou, commente
la gêne à parler de couleur de peau concernant le recrutement du personnel des musées français : « le secteur culturel semble frappé de
color blindness. Ne pas voir les couleurs, c’est aussi ne pas voir quand il n’y a pas de diversité ».
Le domaine de la
philanthropie est rarement convoqué dans la discussion sur la diversité. L’exemple de L’Abbe Museum est intéressant dans la mesure où le musée
a fait évoluer le concept de mécène pour sortir des stéréotypes de l’homme blanc et riche. L’institution accueille et valorise d’autres types de dons comme le don de temps ou le partage de connaissances.
Carnet d'étonnements
« Questionner la place des femmes dans l'histoire et la culture (...) telle est la mission de
Feminists in the City ! » L'association propose des parcours dans plusieurs grandes villes françaises pour
redécouvrir les
femmes qui ont fait l'histoire d'une ville avec des visites de musées, jardins, une redécouverte de l'espace public...
Deux doctorantes en histoire de l’art ont créé le compte et hashtag
#Accrochées dans le but de « participer à la plus grande
diffusion d’œuvres réalisées par ou attribuées à des femmes. » Chacun.e peut contribuer.
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage apporte notamment une expertise aux
collectivités qui souhaitent mettre en place une politique de
réévaluation des personnages à qui il est rendu hommage dans leur cité. Sur la base de différentes expériences conduites en France, l’organisme travaille à la réalisation d’un vade-mecum sur la politique de
mémoire de
l’esclavage dans l’espace public.
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