Article paru dans L’Observatoire no 60, avril 2023

Le 27 mai 2022, Michel Guerrin, rédacteur en chef au journal Le Monde, écrit : « Du 3 au 5 juin, la voisine populaire de Lyon abrite le festival Réel. Des concerts, spectacles, arts de la rue, choisis par 115 jeunes de 12 à 25 ans. Ils ont fait bien plus. Ils ont trouvé le nom du festival – un rêve devient réel –, géré la production, la scénographie, la logistique, la communication, concocté les affiches, l’accueil, etc. Ils ont imaginé un univers à leur image M. Guerrin, « L’art participatif ne se décrète pas, et Villeurbanne est forte de cinquante ans d’expérience en la matière », Le Monde, 27 mai 2022. » Le ton est donné. Un grand événement se prépare et il est déjà exemplaire de ce que pourraient être des politiques participatives de la culture, de ce que pourrait être une démocratie culturelle.
Cet événement, qui a beaucoup été décrit dans la presse et raconté par ceux-là mêmes qui ont participé à son organisation Entre autres : « Festival Réel : 45 000 spectateurs et un pari gagné par la jeunesse », Le Progrès, 7 juin 2022, « “Réel”, un festival imaginé par les jeunes de Villeurbanne », France Bleue, 27 mai 2022 ; « L’expérience du réel », Radio Nova, 2 juin 2022 ; podcasts réalisés par le média Lyon Demain ; documentaire Villeurbanne, capitale française de la culture 2022 : Place aux jeunes, réal. Gautier & Leduc, diffusé sur France 3 et France 4, 55 minutes, 2022., nous avons cherché à le documenter et à le restituer ici dans un récit immersif, depuis nos premières observations lors des commissions de travail des jeunes organisateurs, jusqu’aux entretiens que nous avons menés avec eux pendant puis après le festival, dans le cadre d’une enquête en collaboration avec l’Observatoire des politiques culturelles et la mairie de Villeurbanne. L’objectif de ce texte n’est pas de proposer une analyse critique de la dimension participative ou démocratique de l’événement, mais plutôt de rendre compte d’une ambiance et de la sensibilité qui parcourt cette aventure, à tout le moins singulière. Ce récit mettra néanmoins en évidence que les implications des jeunes organisateurs sont diverses et font de la participation un sujet pluriel, que les conditions de leur contribution restent un enjeu complexe et délicat ; et enfin que la démocratie culturelle se heurte à la prégnance des formats culturels, des standards et des normes de l’action culturelle.
Accueillir 119 jeunes et camper le décor de leur participation
Le 21 octobre 2021, la Maison des jeunes et de la culture de Villeurbanne accueille 119 jeunes dans son théâtre. Ils sont 44 garçons et 75 filles, âgés entre 12 et 25 ans. Ils s’apprêtent à entendre la présentation de l’événement qu’ils sont censés mettre en œuvre ensemble. Le projet est décrit comme la « construction d’un grand festival qui aura lieu sur le site de la Feyssine du vendredi 3 au dimanche 5 juin 2022 Extrait d’un document de présentation de la direction de la Jeunesse de la ville de Villeurbanne. ». Le groupe WhatsApp qui réunit tous les participants de la journée porte le nom de « grande fête Jeunesse ». Cet événement gratuit dans l’espace public « doit attirer des dizaines de milliers de personnes […] impliquer et préparer la jeunesse à devenir actrice de la vie de la cité B. Sevaux, « Place aux jeunes : de 3 à 25 ans », L’Observatoire, no 59, printemps 2022, p. 59-60. ». Une ambition et un format qui galvanisent les jeunes participants. « On nous a vendu ça comme un projet vraiment super important, qui allait faire parler de lui et qui allait être vraiment énorme ! Et je me suis dit : “c’est une chance !” » (S., 18 ans).
Nous sommes frappées, néanmoins, par la charge critique que formulent les jeunes à l’égard de la notion de « participation ». Ils nous le racontent, à postériori, mais ils sont nombreux à s’engager dans le projet, au mois de novembre 2021, sans illusion, avec une sorte de méfiance vis-à-vis d’une proposition qu’ils ont du mal à croire : « On a à peu près tous eu la même frayeur, ou la même crainte, d’être juste une vitrine. Les élus vont mettre en avant le fait qu’un si grand projet va être tenu et organisé par des jeunes, et en même temps on va avoir plein de référents, des gens déjà spécialisés dans la com’, dans l’événementiel, dans les festivals, qui vont finalement prendre le relais de l’organisation. » (S., 18 ans).
En effet, pour organiser cette grande fête de la Feyssine, les jeunes (mobilisés à la suite d’un appel à projets) vont travailler avec des « professionnels de la jeunesse et professionnels de la production d’événements culturels » afin de « mettre en mouvement une certaine forme de pédagogie du projet qui, en s’affranchissant des codes du milieu scolaire, ouvre des passages entre les générations Dossier de présentation de « Capitale française de la culture – Villeurbanne 2022 ». ». Au cours des semaines suivantes, les participants se rencontrent en séances plénières et sont accueillis par l’équipe d’organisation de la « Capitale française de la culture » (CFC) constituée du personnel de la mairie, venant pour beaucoup de la direction de la Jeunesse, ainsi que de stagiaires en fin d’études et de volontaires en service civique.
Les premiers temps de travail se caractérisent par une co-élaboration de la forme de l’événement, ainsi que des étapes de sa mise en œuvre. Un « brainstorming géant » est proposé, l’occasion de faire émerger les envies d’un groupe de jeunes à qui l’on répète qu’il va se voir confier « les clés du camion » Cette expression est répétée à plusieurs reprises dans nos échanges avec les équipes d’organisation de CFC, ainsi que par les jeunes interviewés eux-mêmes. Le maire de Villeurbanne exprimera en ces mots également la participation des jeunes Villeurbannais concernant le festival Réel.. « C’était à la première réunion, on avait tous des post-it de couleurs différentes et c’était un peu un brainstorming géant, où il y a des catégories et on mettait des mots-clés pour dire ce qu’on aimerait pour le festival. Par exemple, ça pouvait être des noms d’artistes, des types d’art, des animations, la décoration, vraiment tout. Et donc ensuite, on refaisait ça par catégorie pour voir ce qui revenait le plus souvent et avoir une idée générale du festival. » (B., 18 ans).
Sont évoqués à ce moment-là : les arts de rue, la danse, l’importance de la biodiversité et de l’inclusion, mais aussi la musique. En têtes d’affiche, Beyoncé et Rihanna sont plébiscitées. Dans un second temps sont nommés Angèle, Orelsan, le rappeur français PLK et le Belge Roméo Elvis. Deux objectifs animent le groupe de jeunes. D’un côté, les termes de « diversité » et d’« inclusion » font consensus, comme valeurs importantes. D’un autre côté, leur désir de participer au festival s’accompagne de l’envie de déconstruire des stéréotypes et des préjugés associés à la jeunesse d’aujourd’hui. « On voulait vraiment que ce soit un truc de jeunes, organisé par les jeunes et qu’on le montre. Et qu’on prouve en même temps que nous ne sommes pas que des fainéants, que nous ne pensons pas qu’à profiter des événements, qu’à gaspiller de l’argent. » (S., 18 ans).
Raconter cette aventure, retracer les étapes de travail, décrire les choix de programmation, exposer son point de vue : les jeunes mobilisés sont sollicités par la presse, par leur entourage, par notre propre enquête, et produisent du récit en temps réel. Cette capacité à pouvoir s’exprimer en public et faire état d’une réflexivité concernant sa propre participation, revient régulièrement dans les échanges que nous avons avec eux et avec les organisateurs, comme étant un aboutissement du projet.
Leur désir de participer au festival s’accompagne de l’envie de déconstruire des stéréotypes et des préjugés associés à la jeunesse aujourd’hui.
Cadres, cadrages, méthodes : des médiations structurantes
Ces propositions de travail rencontrent rapidement les contraintes budgétaires et organisationnelles de la Ville. Les jeunes perçoivent au fur et à mesure que « rien n’est laissé au hasard ». Ils découvrent un milieu, le fonctionnement d’une filière, ses normes et sa complexité : « On voit vraiment les coulisses. Moi j’avais tendance à dire “c’est bon, ils auraient pu inviter cet artiste quand même !”. Et là, quand je vois les coulisses, je me dis “ah, c’est pas si simple !”. Et ouais, ça m’a appris plein de choses auxquelles on ne pense pas forcément, ne serait-ce que les budgets, le temps, l’organisation, réfléchir à quel endroit on met la scène, penser aux voisins, à la zone protégée, etc. » (E., 17 ans).
Nous sommes fin novembre 2021 et des groupes thématiques commencent à s’organiser : « programmation », « communication », « prévention », « arts de la rue et scénographie », « M. et Mme Loyal ». Des plannings et des objectifs sont fixés pour chacun. Certaines compétences – dont l’offre de nourriture, l’accueil artiste, la dimension technique – ne sont pas confiées aux jeunes bénévoles, l’argument de l’expertise et de la complexité des tâches faisant autorité.
Ils se donnent des méthodes de travail. Par exemple, le groupe « communication » se réunit tous les mardis, à 18 h. Il est accompagné par une ancienne responsable de la communication pour l’organisation du festival de musiques électroniques des Nuits sonores, ainsi que par un animateur à la direction de la Jeunesse de Villeurbanne. Un premier brainstorming est lancé : les jeunes doivent proposer en quelques heures le nom que portera le festival, un vote est ensuite organisé afin de présenter les deux finalistes aux équipes municipales. Deux petits groupes se forment et travaillent à leur argumentaire : l’un présente le titre Ultraviolet, l’autre, le titre Réel. C’est le second qui est choisi par les élus et le maire.
Ces méthodes se ritualisent presque. Les systèmes de vote à main levée semblent les plus utilisés pour enclencher les prises de décision. La méthode du débat, de la conversation, aide à trouver des compromis, à argumenter des décisions, à se mettre d’accord. Cette façon de faire nous est décrite par les jeunes eux-mêmes comme leur permettant d’être écoutés, et à chaque parole d’être prise en compte. La pratique du jeu de société (jeu de cartes, jeu de plateau, jeu de rôles), en début de séance, est institutionnalisée par quelques groupes, notamment « Communication » et « Vidéo inside Le groupe « Vidéo inside » a pour objectif la réalisation d’un film qui documente la participation des jeunes. Ce type de documentaire est typique des after movies bien connus des festivals. Il s’agit également de matérialiser un souvenir fort pour les jeunes, autour duquel se fédérer. ».
Encadrement, expertise, autorité : les rôles et les places de chacun
L’équipe d’encadrants remarque, à son tour, l’enjeu de son accompagnement. Elle peut compter sur l’expertise, notamment technique, en matière d’organisation d’événements gratuits dans l’espace public (programmation du festival Les Invites depuis une vingtaine d’années), mais n’a pas d’expérience en matière de musiques actuelles. Plusieurs professionnels exerçant dans ce secteur sont alors contactés et commencent à travailler dès janvier 2022 avec l’équipe. Ils témoignent de leur excitation à participer au projet, mais aussi de l’urgence dans laquelle se trouve alors l’événement. Leur parole a du poids pour les jeunes qui estiment bénéficier de leurs connaissances et de leur expertise. « On avait vraiment l’impression de suivre une formation, parce qu’elle [la professionnelle de la communication événementielle] nous expliquait assez bien. Évidemment, c’était rapide (moins d’une heure), mais c’était plutôt bien, suffisamment concret et précis, sur les objectifs de chaque chose. » (M., 25 ans).
Tous ces acteurs n’ont pas le même statut. Ils se répartissent entre différents niveaux d’implication : le groupe des « 119 jeunes » qui préparent l’événement ; les référents « moins qualifiés » (stagiaires, services civiques) qui animent les séances et font aussi figure d’autorité pour les jeunes – alors qu’ils se sentent parfois dépassés par ce rôle, n’étant pas formés pour assurer des tâches d’encadrement – ; les référents des groupes, membres de l’équipe CFC et de la direction de la Jeunesse de la ville ; et enfin les professionnels du secteur culturel, reconnus pour leur savoir-faire technique ou spécialisé.
Les enjeux d’expertise se mêlent aux enjeux de pouvoir. En effet, l’organisation du festival repose sur la connaissance des objectifs et la capacité à prendre des décisions pour y parvenir, par celles et ceux qui travaillent en continu sur l’événement et sont rémunérés pour cela (c’est-à-dire les encadrants et les experts). « Même si, on l’a dit, c’était “toutes les clés données aux jeunes”, certains points (notamment budgétaires) n’en font pas partie. On doit leur expliquer que ce n’est pas possible. » (A., membre de l’équipe CFC).
Le programme des scènes d’émergence en est un exemple. Le 10 décembre 2021, la mairie partage sur Instagram un appel à participation destiné aux musiciens et musiciennes amateurs de Villeurbanne. Celui-ci permet aux artistes sélectionnés de se produire sur la future scène de la Fête de la Feyssine, mais aussi aux groupes candidats de donner un concert dans d’autres salles de spectacle de la ville : Toï Toï Le Zinc et le Transbordeur. Un jury composé de professionnels du secteur est chargé, à l’issue de chaque représentation, de prodiguer des conseils aux artistes amateurs et de sélectionner les plus pertinents (et non pas les meilleurs, comme cela nous est expliqué) en vue d’une représentation début juin.
Ici l’expertise professionnelle ne se mélange pas à l’expertise des jeunes organisateurs du festival. Ces derniers ne participent pas aux jurys, soit parce qu’ils n’y ont pas été invités, soit parce qu’ils n’ont pas osé le faire. Reste que les professionnels gardent la main sur les critères de sélection des talents de demain : « Dans la logique de nous intégrer jusqu’au bout, de nous laisser choisir les têtes d’affiche, j’ai trouvé ça dommage de ne pas nous laisser donner notre avis sur les scènes émergentes en fait. » (K., 25 ans).
Cette différenciation des rôles confère, à l’inverse, une valeur forte à certains espaces de décisions. Quand un arbitrage va à l’encontre de l’avis de l’expert, on remarque une fierté supplémentaire chez les jeunes. « Voilà, c’était notre affiche et, finalement, l’affiche de la professionnelle de la communication a été mise de côté. Donc ça a vraiment été quelque chose de très, très démocratique. C’était cool. Je me suis rendu compte qu’en fait on avait la mainmise sur toutes les grandes décisions, c’était nous qui faisions les grands choix : on a choisi le nom, on a choisi l’affiche, on a dirigé la conférence de presse. » (S., 18 ans).
On observe dans nos rencontres que certaines étapes sont structurantes pour les participants tels le vote du titre du festival, la conférence de presse à l’hôtel de ville, la prise en main par les jeunes du compte Instagram dédié à l’événement. Elles ont en commun de mettre en visibilité leur capacité de décision et le respect de leurs choix : « Ça peut être moi qui vais choisir les artistes… Enfin pas toute seule du coup, mais c’est quand même MA [elle insiste] démarche, etc. Ça m’a motivée de me dire que ce sera un truc reconnu dans toute la ville, même peut-être nationalement et que c’est MON travail. » (E., 17 ans).
Mais il est tout à fait passionnant de découvrir d’autres récits démontrant que participer n’est pas seulement donner une idée ou son avis. Une des jeunes participantes nous explique qu’élaborer une proposition demande du temps et que le travail de concertation préalable à l’expression d’une idée est ce qu’il y a de plus important pour elle. Un autre jeune homme nous raconte que, pour lui, la valeur de la participation ne se joue pas dans la décision, mais plutôt dans le « faire », sur le terrain, dans l’agir et moins dans l’élaboration.
Qui sont les jeunes participants ?
Tout au long de nos observations se pose finalement la question de savoir qui sont ces jeunes. Tout d’abord, l’existence d’un groupe de jeunes est consubstantielle au projet. On le voit pendant le festival, ils sont identifiés avec des tee-shirts de la même couleur et sont décrits dans la presse comme « les jeunes » (laissant supposer un groupe uni et homogène).
De nombreux témoignages nous racontent à ce titre la bonne entente, le sentiment d’avoir rencontré des personnes intéressantes. L’importance d’un collectif de jeunes fédérés autour du projet est reprise par les participants eux-mêmes qui qualifient le fonctionnement de groupe de « naturel », d’« évident », de « facile », de quasiment « organique ». « Le but, c’était vraiment que tout le monde soit d’accord sur la même idée ou la même chose. En plus, on avait nos tee-shirts, on se sentait tous ensemble. Il y a eu cette cohésion tout de suite. » (F., 20 ans).
Les participants sont parfaitement conscients de leur condition de groupe et de l’importance de faire corps. Quand nous les interrogeons sur ce sujet, ils expriment le rôle fédérateur du projet de festival. Toutefois, le groupe étant composé de jeunes aux âges distincts et aux trajectoires différentes, un membre de l’équipe CFC (chargé d’accompagner les jeunes volontaires) soulève la difficulté de jouer avec le réajustement constant du groupe dont l’existence en tant que telle demeure complexe : « Il y a eu beaucoup de roulement : des éléments moteurs qui ont été là tout du long et d’autres qui étaient très impliqués sur de courtes périodes. Il fallait quand même tout le temps réadapter les choses en fonction de la présence de telle personne tel jour, mais qui dans deux semaines ne serait plus là. » (A., membre de l’équipe CFC).
Le groupe de jeunes a un engagement puissant mais, fluctuant et des disponibilités variables en fonction des cadres de vie de chacun. Ils passent leur bac, leur brevet, sont en études, sont sans emploi puis en trouvent un. Ils ont une vie sociale, une vie de famille, des parents plus ou moins présents, un rapport différent à l’école, aux activités extrascolaires. Une jeune lycéenne devra quitter le projet deux mois avant le jour de l’événement. Le dispositif était devenu trop lourd et les réunions trop tardives pour elle.
Face à cela, un territoire symbolique et numérique est activé en permanence pour permettre au groupe d’exister en continu. Ce groupe WhatsApp nous est décrit comme servant à « faire vivre » et à garder du lien avec les jeunes. Des sorties sont proposées pour passer du temps en dehors des séances de travail, apprendre à se connaître dans un autre contexte, mais aussi fédérer le groupe autour de la ville de Villeurbanne et d’une identité d’habitant. « Typiquement, on est allés voir des spectacles. On a rencontré aussi des artistes… En leur faisant choisir 2 ou 3 trucs qui les motivaient, pour essayer de les impliquer dans des actions très spécifiques. […] Et aussi montrer qu’il y a une vie culturelle à Villeurbanne souvent ignorée, même par les Villeurbannais ! » (A., membre de l’équipe CFC).
Rencontrer certains jeunes nous permet d’en dresser les profils, de saisir comment parcours de vie et motivations se croisent. Certaines reviennent régulièrement : pouvoir valoriser cette expérience sur un CV, étoffer des compétences. Ces motifs sont récurrents chez les étudiants et jeunes professionnels. Pour d’autres, il s’agit de découvrir de nouveaux métiers liés à cet univers des concerts et des festivals. Les participants qui ont accepté de répondre à nos questions ont souvent diverses actions de volontariat ailleurs, ils donnent de leur temps à des associations, à la MJC, à des médias locaux, etc. C’est un public déjà convaincu de l’intérêt des engagements collectifs, qui s’autorise à participer et croit en sa capacité à le faire. Pour beaucoup, leur implication dans le festival Réel renforce, d’ailleurs, leur désir de s’investir auprès d’associations ou causes bénévoles.
Pour beaucoup, leur implication dans le festival Réel renforce leur désir de s’investir auprès d’associations ou causes bénévoles.
Le grand soir
Le parc de la Feyssine est transformé. La grande scène est installée, les accès sont organisés, un grand escalier de métal ouvre la voie depuis le boulevard Laurent Bonnevay, les food trucks et les espaces de bar sont ouverts, les grandes fleurs de lumière et les arbres colorés éclairent les différentes zones du festival.
Le stress ressenti par toute l’équipe laisse place à l’excitation quand le parc se remplit, ce vendredi 3 juin 2022, d’environ 16 000 festivaliers. Les musiciens villeurbannais des scènes d’émergence ouvrent le bal sur la petite scène montée pour l’occasion. Les participants du groupe « M. et Mme Loyal » présentent les jeunes talents et « chauffent » le public.
Samedi, 18 h 20, le tramway au départ du centre-ville de Lyon pour venir à la Feyssine se remplit à Charpennes. Les jeunes festivaliers sont prêts : paillettes, maquillage extravagant, accessoires fleuris, la venue à l’événement a fait l’objet d’une préparation soignée. Canettes de bière à la main, les conversations vont bon train. On parle de retrouver des amis, d’écouter tel artiste et de rencontrer du monde. Ce samedi soir, l’atmosphère au parc de la Feyssine est électrique, Roméo Elvis est programmé à 20 h. De forts mouvements de foule ont d’ailleurs lieu, le sol du parc vibre littéralement sous l’effet des 26 000 spectateurs. À 22 h, les portes d’entrée du festival devront fermer, la jauge ayant été largement atteinte pour le concert très attendu de PLK. Un orage éclate finalement en fin de soirée, lors du set du DJ Feder, ce qui n’empêchera pas les festivaliers de danser jusqu’au début de la nuit.
Toutes les personnes interrogées, qu’il s’agisse des jeunes participants ou des festivaliers eux-mêmes, expriment une surprise concernant la diversité des spectateurs, la présence de jeunes, de familles, d’enfants, de seniors. « Je trouvais ça bien parce qu’il y avait des familles des jeunes, beaucoup de publics différents et c’était dû aux choix des artistes qui étaient quand même assez variés grâce aux votes. C’est important de veiller à ça, on ne peut pas avoir que de la scène rap. » (C., 20 ans).
Tout au long du festival, les organisateurs, en arborant leur tee-shirt jaune, se rendent visibles et disponibles pour accueillir, accompagner, guider le public. Celui-ci les remercie et les félicite pour la qualité de l’événement proposé et le professionnalisme dont ces derniers ont fait preuve. Une reconnaissance grisante pour ces volontaires qui, pour certains, fréquentaient le site d’un festival pour la première fois : « Ce qui était aussi hyper gratifiant, c’était de voir que tout le monde trouvait ça trop bien. Je me souviens de plein de moments où on avait les tee-shirts bénévoles et les gens venaient me dire : “oh c’est trop bien, merci !!” […] Il y a eu beaucoup de retours positifs et ça c’était super épanouissant. » (C.,20 ans).
Car c’est bien d’un vrai festival dont il s’agit. Les codes sont respectés, les normes sont repérées, ça ressemble à un grand événement. C’est du « travail de pro ». Les spectateurs sont surpris : ils n’imaginaient pas que la première édition d’une manifestation gratuite et, de surcroît, organisée par des jeunes, ait une telle allure (ou, en d’autres termes, que cela ressemble autant à un festival « normal »). « Ça n’avait rien à envier à un festival classique ou déjà là depuis longtemps. Il y a aussi le truc de la “première fois” et pour autant ça ne faisait pas amateur. Enfin c’était vraiment de qualité en tout cas, ce sont les échos que j’ai pu avoir. C’est aussi ce que j’ai trouvé. » (C., 20 ans).
L’un des objectifs annoncés dans le dossier de présentation de CFC, Villeurbanne 2022, était de faire des jeunes habitants les ambassadeurs de leur ville. Au vu de l’engouement pour le projet, on peut se dire que le pari est réussi. La majorité de ces jeunes est clairvoyante quant à l’issue de cette expérience : beaucoup d’entre eux ne se reverront pas, certains se sont rencontrés sur le site du festival et ne s’étaient jamais croisés avant, ils regrettent de ne pas avoir passé plus de temps ensemble après. Mais beaucoup d’entre eux ont exprimé leur fierté, malgré les temporalités complexes et les frustrations. Ils décrivent comment l’événement a renforcé un lien avec leur territoire : « Je me rappelle que, lors de la présentation à la mairie, j’ai dit : “oubliez pas de remercier Émilie et tout ! Remerciez le maire aussi, c’est lui qui a payé ! Il faut remercier tout le monde, c’est pas que nous !”… pour dire quand même que tous ceux qui étaient derrière le groupe, ce sont eux qui ont bossé. Mais oui c’était nous… À leurs yeux, c’était nous qui avions tout organisé. » (Y., 20 ans).