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Depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire de l’éducation artistique (dite aujourd’hui « éducation artistique et culturelle » [EAC]) est, peut-être avant toute chose, celle d’un projet politique d’émancipation par l’art et la culture La thèse développée dans cet article recoupe l’argumentation proposée dans une publication plus détaillée, problématisée autour de la question de l’esprit critique comme finalité éducative dans les domaines de l’éducation artistique et de l’éducation aux médias : M.-P. Chopin et J. Sinigaglia, « L’esprit critique comme visée. Métamorphoses d’une ambition pédagogique dans les domaines de l’éducation aux arts et aux médias », Carrefours de l’éducation, no 55, juin 2023.. Cet objectif est indissociablement individuel et collectif, étant communément admis que, pour reprendre la célèbre formule du Manifeste de Marx et Engels, « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Tous les discours faisant la promotion du développement de l’éducation aux arts et à la culture à l’école insistent en effet, d’une manière ou d’une autre, sur son rôle déterminant dans l’émancipation des « élèves, futurs citoyens Expression fréquemment employée dans les textes de cadrage des politiques et des projets d’EAC. » et la construction d’une société plus ouverte, plus juste, etc. Mais ce caractère central de la visée d’émancipation de l’éducation artistique confère aussi à la notion un faible pouvoir analytique. Vraie partout, mobilisée par tous les agents ayant participé de loin à la production de ces politiques quelles que soient leurs orientations militantes et partisanes, elle peine à enrichir la compréhension du processus d’institutionnalisation puis de généralisation de l’EAC entrepris depuis le début des années 1970 en France.

L’entrée choisie ici s’inspire des travaux du sociologue et historien Norbert Elias, analysant le processus de civilisation comme un ensemble de transformations sociales associant, notamment, un mouvement de pacification, de domestication de la violence (y compris politique) et de construction de l’État N. Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1991 [1939].. Le lien avec l’histoire des politiques d’éducation artistique peut être énoncé simplement. Si l’on trouve, parmi les fondements de cette dernière, en marge de l’État, des objectifs de subversion politique (les universités populaires, le théâtre civique ou encore certains courants d’inspiration libertaire de l’éducation nouvelle ont en effet eu pour point commun de recourir à la diffusion de l’art pour inspirer la révolte ou au moins aspirer à une transformation de l’ordre social et politique), la thèse portée dans cet article est que l’institutionnalisation de l’éducation artistique a consisté à circonscrire cet objectif d’émancipation à un périmètre acceptable par l’État, convoquant les arts et la culture pour conforter plus que pour transformer l’ordre social. Dit autrement, l’institutionnalisation de l’EAC pourrait être considérée, sous cet angle, comme un processus de civilisation « à petite échelle » (sur les plans temporel et sectoriel). L’intérêt de cette approche sera de révéler deux paradoxes : celui, d’une part, lié à la façon dont la généralisation progressive de l’EAC s’est accompagnée d’une recomposition de l’ordre de priorité entre transformation sociale d’un côté et transformation individuelle de l’autre ; celui, d’autre part, relatif aux effets de cette généralisation sur l’évolution même du sens accordé à cette émancipation censée être produite par l’éducation artistique.

La pacification : l’art pour « faire société »

Les premiers pas de l’institutionnalisation de l’éducation artistique, à la fin des années 1960, l’inscrivent d’emblée dans une perspective humaniste, se traduisant principalement par une domestication des visées émancipatrices les plus radicales. L’éducation artistique est convoquée pour contribuer à la réalisation d’objectifs ambitieux mais relativement généraux tels que « faire société », permettre aux individus de « s’adapter » dans une société en profonde mutation, etc.

Le colloque d’Amiens, organisé en 1968 par l’Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS) Association créée à l’initiative d’un groupe de mendésistes (voir Ch. Dormoy-Rajramanan, « L’entreprise réformatrice de l’AEERS », dans J. Cahon et B. Poucet, Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968, Rennes, PUR, 2021, p. 97-110.), est souvent présenté comme l’une des origines institutionnelles de l’éducation artistique en France C. Grabowski, « L’éducation artistique dans le système scolaire français de 1968 à 2000 », thèse de doctorat en histoire, Institut d’études politiques de Paris, 2013.. Réunis pour formuler des propositions de « rénovation » du système éducatif, les acteurs de l’enseignement (inspecteurs de l’Éducation nationale, enseignants, chercheurs…) font la promotion d’une école décloisonnée, ouverte sur le « monde extérieur ». Les débats de la commission B consacrée à la « formation culturelle de l’individu », animés par le recteur et écrivain Robert Mallet, conduisent à formaliser les « buts premiers » du développement de l’éducation artistique dans le cadre scolaire. Le rapport final définit ainsi « l’homme cultivé » comme celui « qui se sent à sa place dans une collectivité à son échelle, en tant que participant responsable et compréhensif ». Cet individu, s’il doit être « libre et désaliéné » (les termes sont significatifs au sortir d’un conflit mondial et à l’ère de l’automation industrielle), est aussi incité à être « en même temps communautaire ». Les promoteurs de « l’école nouvelle » réaffirment donc avec force le dessein émancipateur de l’éducation artistique. Mais il ne s’agit plus de former des individus prêts à contester l’ordre social : les futurs citoyens devront être « capable [s] de s’organiser et d’assumer le changement en inventant des solutions toujours nouvelles aux problèmes toujours nouveaux qui se posent à [eux] quotidiennement, ayant pour tout dire “du devenir dans l’esprit” AEERS, Pour une école nouvelle. Formation des maîtres et recherche en éducation. Actes du colloque national, Amiens 1968, Paris, Dunod, 1969, p. 162. ».

La création en 1971 du Fonds d’intervention culturelle (FIC), structure interministérielle destinée à favoriser l’action conjointe des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale en matière d’action culturelle, puis le travail de la mission dirigée par Jean-Claude Luc au ministère de l’Éducation nationale à partir de 1976, ont accompagné la poursuite des premières expérimentations menées en classe, à l’initiative d’enseignants et de militants culturels M.-C. Bordeaux, « L’EAC, ou la construction progressive d’un agenda politique en France pour les arts et la culture à l’école », dans E. Fourreau (dir.), L’Éducation artistique dans le monde, Toulouse, Éditions de l’Attribut, 2018, p. 259-269., et l’intégration progressive de l’éducation artistique dans l’espace scolaire. En opposition avec la conception malrucienne de la démocratisation culturelle, la politique de « développement culturel » réunit désormais action culturelle et action éducative autour de ce qu’Augustin Girard qualifie de « projet de civilisation A. Girard, Développement culturel : expériences et politiques, Paris, Unesco, 1972. ».

L’institutionnalisation de l’éducation artistique a consisté à circonscrire cet objectif d’émancipation à un périmètre acceptable par l’État.

Le protocole d’accord de 1983, engagé par Jack Lang, officialise la collaboration entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale pour le développement de l’éducation artistique, censée « permettre à chacun d’affiner sa sensibilité, de connaître et choisir les modes d’expression, de création qui lui conviennent, de participer à l’activité culturelle sous ses diverses formes Communication conjointe des ministres de l’Éducation nationale et de la Culture du 9 mars 1982. ». Ce développement est toujours légitimé par l’objectif global de la formation culturelle, mais la visée émancipatrice est à présent plus rarement évoquée, y compris dans ses formulations humanistes. L’institutionnalisation de l’éducation artistique se traduit dans les faits par la valorisation des finalités propres à ce domaine à l’intérieur de l’école : il s’agit de « voir » (un spectacle, une exposition, un journal télévisé) et surtout de « faire » (chanter, danser, écrire un article de presse), dans le cadre d’ateliers de pratique principalement. Les termes de l’avant-projet de loi sur les enseignements artistiques d’août 1982 illustrent bien ce déplacement : « Les enseignements artistiques doivent former les élèves à l’Art et pour l’Art ». Tout se passe comme si l’expérience esthétique individuelle devait produire par elle-même des bénéfices collectifs, dans une perspective rappelant la philosophie de Friedrich Schiller : « Le plaisir esthétique seul peut réconcilier l’esprit et les sens, et donner naissance à une société harmonieuse, équilibrée, juste, accomplie Cette lecture des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Schiller est proposée par Alain Kerlan. Sur les enjeux de ce « paradigme esthétique », voir aussi A. Kerlan, L’Art pour éduquer ? La tentation esthétique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004.. »

L’individualisation : l’art pour accompagner le développement des élèves

Dès la fin des années 1980, et à mesure qu’est progressivement affirmée la nécessité de la généralisation de l’éducation artistique, ses usages en tant qu’instrument d’action publique évoluent dans les textes de cadrage nationaux. S’il s’agit toujours de contribuer, par la formation à et par l’art, à « faire société », l’éducation artistique est désormais plus directement mise au service du renforcement de la « cohésion sociale » et associée à une logique compensatoire. Cette redéfinition passe par un ajustement aux nouvelles missions assignées à l’école dans le cadre des réformes de l’Éducation nationale, notamment la réduction des inégalités scolaires. Or ces réformes, en particulier depuis la loi d’orientation sur l’éducation promulguée le 10 juillet 1989 (dite « loi Jospin »), consacrent une conception de l’éducation centrée sur l’individu P. Rayou, « L’enfant au centre. Un “lieu commun” pédagogiquement correct », dans J.-L. Derouet (dir.), L’École dans plusieurs mondes, Bruxelles, De Boeck, 2000, p. 245-274 ; S. Aebischer, « “Mettre l’élève et le management au centre du système”. Sociologie d’un moment réformateur – le ministère Jospin (1988-1989) », thèse de doctorat en science politique, université de Lyon 2, 2010., plaçant « l’élève au centre du système éducatif ». Plusieurs protocoles, plans et autres programmes nationaux définissant les objectifs de l’éducation artistique s’inscrivent dans cette perspective, liant traitement individualisé des problèmes éducatifs et scolaires et bénéfices sociaux collectifs.

Le protocole d’accord de 1989, conclu entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, invite à poursuivre l’ouverture de l’école en favorisant le « partenariat » avec les acteurs des mondes de la culture et de l’animation socioculturelle (maisons des jeunes et de la culture, centres d’action culturelle, musées, bibliothèques, centres de loisirs…). Les temps scolaires et périscolaires doivent permettre « l’initiation artistique et culturelle des enfants », « aider à l’émergence de jeunes talents », mais aussi « accompagner l’insertion », « briser le processus d’exclusion [des] jeunes défavorisés » et « contribuer à la prévention de la délinquance ». Le protocole de 1993, étendu au ministère de l’Enseignement supérieur, renouvelle ce projet – malgré le changement de ministres occasionné par la cohabitation – dans un contexte marqué par le « problème des banlieues S. Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Seuil, 2007. ». L’éducation artistique y est alors définie comme un versant de l’éducation complémentaire à celui des apprentissages strictement scolaires, permettant de lutter avec « efficacité […] contre l’échec scolaire en rendant espoir à ceux que l’institution aurait tendance à exclure et concourt à l’équilibre nécessaire entre la construction de la personne et la conscience sociale ».

Ainsi intégrée pour sa complémentarité à l’enseignement classique, l’éducation artistique est vouée, au début des années 2000, à occuper une place encore plus centrale au cœur des enseignements scolaires pour un public élargi d’élèves. Le Plan pour les arts et la culture à l’école, porté par les ministres Jack Lang et Catherine Tasca en 2001, définit l’éducation artistique et culturelle comme « une priorité de la politique éducative » et pose comme premier objectif sa « généralisation à l’ensemble des enfants ». L’EAC y est présentée comme un moyen de réduire les inégalités d’accès aux arts mais aussi et surtout comme un levier favorisant les apprentissages scolaires (« la porte qui donne accès aux autres savoirs ») et une forme de développement personnel (« L’art est une discipline d’appropriation des savoirs qui fait appel à l’affectif, à l’intelligence sensible, à l’émotion : l’apprentissage modifie l’écoute, le regard, le rapport à soi et aux autres, il donne confiance en soi. »).

La généralisation de l’éducation artistique – c’est là le premier paradoxe – passe par un traitement de plus en plus individualisé des problématiques sociales.

Si une filiation existe entre cette conception et celle, qualifiée d’humaniste, de la période précédente, elle est à présent ajustée au cadre de l’institution scolaire, en visant principalement la réussite éducative. La généralisation de l’éducation artistique – c’est là le premier paradoxe – passe ainsi par un traitement de plus en plus individualisé des problématiques sociales. « Faire société » suppose un « accompagnement » des individus, et d’abord des élèves, considérés comme exclus (ou menacés d’exclusion) du corps social. Cette individuation, qui est l’une des caractéristiques du procès de civilisation décrit par Elias, tend ainsi à renvoyer aux sujets la responsabilité de leur condition, en reléguant au second plan les causes structurelles des situations individuelles E. Taïeb, « Individuation et pouvoir politique », Labyrinthe. Atelier interdisciplinaire, no 22, 2005, p. 37-46..

La responsabilisation : l’art garant de l’ordre social et politique

Au cours des années 2000, après l’abandon du plan Tasca-Lang, l’institutionnalisation de l’éducation artistique se poursuit et ses visées connaissent un nouveau travail de définition. La multiplication des déclarations politiques invoquant la généralisation de l’EAC M.-C. Bordeaux, « Pour la généralisation de l’éducation artistique et culturelle… par les territoires », Nectart, no 4, 2017, p. 57-65. s’accompagne d’abord, dans le cadre des réformes des politiques éducatives, d’un renforcement des conceptions individualistes des effets attendus de l’éducation aux arts et à la culture.

De plus en plus intégrée au curriculum scolaire, l’EAC est appelée dès 2005 à contribuer à « l’acquisition des compétences transversales » des élèves Circulaire no 2005-014 du 3 janvier 2005, fixant les « Orientations sur la politique d’éducation artistique et culturelle des ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Culture et de la Communication ».. Ce constat est renforcé à partir de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (dite « loi Fillon ») du 23 avril 2005 définissant le socle commun de connaissances et de compétences à acquérir avant la fin du collège. Dans son décret d’application, l’EAC est notamment convoquée pour participer à l’une des dimensions de ce socle : l’esprit critique. Celui-ci y est défini comme une « attitude » incitant à faire la « distinction entre le prouvé, le probable ou l’incertain, la prédiction et la précision » ; et comme une « capacité » utile à la future vie de citoyen de l’élève, lui permettant « [d’] évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours, d’un récit, d’un reportage », « [de] distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité » ou encore « [de] savoir construire son opinion personnelle et [de] pouvoir la remettre en question, la nuancer (par la prise de conscience de la part d’affectivité, de l’influence de préjugés, de stéréotypes) ». Si l’on peut voir dans cette mise à l’avant-plan de l’esprit critique un rapprochement avec les aspirations qui avaient animé les militants des mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle, certaines analyses montrent que, dans les textes institutionnels, ce terme est moins associé au champ sémantique de l’émancipation (résistance, attitude critique, etc.) qu’à celui de la responsabilisation individuelle K. Mahmoudi, « Esprit critique et pouvoir d’agir : vers le développement d’une “attitude critique” ? », Spirale. Revue de recherches en éducation, no 66, 2020, p. 51-63. : l’élève doit avoir la maîtrise de cette compétence devenue scolaire.

Par ailleurs, alors que l’institutionnalisation de l’éducation artistique a bien consisté en un processus de pacification, excluant les motivations politiques les plus radicales, ses évolutions récentes traduisent un mouvement de repolitisation, dans un sens bien différent de celui promu au sein des mouvements militants évoqués précédemment. De même, si l’on peut retrouver, dans certains textes contemporains, des idées proches de celles formulées au colloque d’Amiens (c’est le cas par exemple de la Charte pour l’éducation artistique et culturelle parue en 2016 Rédigée par le Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle (HCEAC)., affirmant que l’« éducation par l’art » contribue « à la formation et à l’émancipation de la personne et du citoyen, à travers le développement de sa sensibilité, de sa créativité et de son esprit critique », lui permettant de « mieux appréhender le monde contemporain » Ce positionnement général de la charte pour l’EAC est aujourd’hui repris par certains concepteurs de projets d’éducation artistique faisant du « développement de l’esprit critique des élèves » l’un des objectifs explicites de leur action en milieu scolaire ; voir M.-P. Chopin, « Pratiques culturelles, styles d’éducation familiale et entrée dans la danse », dans A. Jonchery et S. Octobre (dir.), L’Éducation artistique et culturelle : une utopie à l’épreuve des sciences sociales, Paris, ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, 2022.), d’autres s’en distinguent nettement. En 2015, la feuille de route conjointe du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de la Culture et de la Communication du gouvernement de Manuel Valls présentait l’esprit critique comme l’une des « compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie », nécessaire « à l’émancipation individuelle et à la construction du vivre ensemble » mais aussi à « la transmission des valeurs de la République portées par le Gouvernement « Éducation artistique et culturelle, éducation aux médias et à l’information », Feuille de route conjointe du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de la Culture et de la Communication, Malakoff, le 11 février 2015. ».

Dans un contexte politique notamment marqué par les attentats, les usages de l’esprit critique comme finalité de l’éducation artistique renvoient explicitement à la nécessité d’une préservation (et non pas d’une subversion ni même d’une construction) de l’ordre social et politique. La responsabilité de cette préservation – c’est là le second paradoxe – est donnée aux individus.

À travers les transformations progressives des objectifs de l’éducation artistique et culturelle se dessine ainsi ce que nous avons qualifié de processus de civilisation « à petite échelle ». Éclipsant les finalités promues initialement par certains mouvements militants en faveur de l’éducation artistique, son institutionnalisation repose sur une justification humaniste de la formation culturelle pensée comme condition pour « faire société » puis, à mesure qu’est affirmée la nécessité de sa généralisation, les arts et la culture sont mobilisés pour réduire les inégalités et renforcer la cohésion sociale et, enfin, engager la responsabilité individuelle des « élèves futurs citoyens » dans la préservation de l’ordre social et politique.

Cette lecture de l’histoire des politiques d’éducation artistique et culturelle appelle deux précisions. La première est que le processus décrit, même à petite échelle, n’est pas propre au domaine de l’EAC : l’individualisation et de la responsabilisation se trouvent plus largement au cœur des transformations de l’action publique dans tous les secteurs de l’État et plus largement des formes contemporaines de la gouvernementalité néolibérale M. Foucault, La Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Seuil, 2004.. La seconde est que cette lecture des textes officiels de la politique publique en matière d’EAC n’informe, en tant que telle, ni sur les usages qu’en font les agents éducatifs et culturels (enseignantes, médiatrices, artistes, etc.), ni sur les effets potentiels de ces pratiques sur les élèves. Ces textes sont néanmoins destinés à orienter la mise en œuvre des politiques d’EAC et ils contribuent au moins en partie à définir (en particulier avec la multiplication des appels à projets) les conditions de réalisation objectives des pratiques d’éducation artistique en milieu scolaire. À ce titre, alors que s’intensifient les demandes politiques et institutionnelles d’évaluation des effets de l’EAC, la connaissance et l’analyse critique des cadrages politiques apparaissent plus que nécessaires.