© Adélie Ester

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Adélie Ester, j’ai vingt-quatre ans. Ma formation comprend la danse, le théâtre et les arts audiovisuels. Je suis également diplômée du master « Arts, Lettres et Civilisations – Parcours Diffusion de la culture » de l’Université Grenoble Alpes.

Depuis 2021, je dirige le collectif d’arts-vivants Les Nuageux. J’aime présenter les projets des Nuageux comme des aventures dans lesquelles l’art est un prétexte pour apprendre à se connaître, à faire et à ressentir ensemble. De parents tous deux enseignants, je me suis toujours inspirée de ce que l’éducation pouvait apporter aux arts et inversement.

Comment est née l’envie de travailler sur ce sujet de mémoire ?

En 2023, je suis partie en Espagne pour découvrir d’autres manières de faire de la médiation culturelle. La notion de droits culturels m’intéressait déjà beaucoup. Dans un premier mémoire, j’avais cherché à comprendre dans quelles conditions la danse pouvait devenir un outil de développement humain. En Espagne, j’ai dansé avec des enfants, des personnes âgées ou en situation de handicap, ainsi que dans des contextes variés, y compris en milieu carcéral… Et j’ai découvert le projet LÓVA (L’Opéra, un véhicule d’Apprentissage), dont je parle dans cet article. 

Je me suis alors rendu compte que je ne m’étais encore jamais penchée sur la question des droits culturels des enfants. J’ai constaté que l’éducation artistique et culturelle, telle qu’elle s’exerce en France, ne semblait pas non plus véritablement s’y attarder. Si l’enfant possède des droits, pourquoi ne jouirait-il pas lui aussi de droits culturels ? En 2024, je suis donc retournée en Espagne pour réaliser un stage de six mois au sein du projet LÓVA et entamer cette nouvelle réflexion.

Ce sujet fait aussi écho à mon histoire personnelle. Plus jeune, j’ai croisé la route d’un professeur qui a su déceler en moi ce désir de création immense mais timide. En me confiant la responsabilité d’écrire un film et de le réaliser, en sachant m’accompagner sans influencer mes choix artistiques, il m’a donné l’élan et les moyens de partir à la découverte de moi-même. Ainsi j’ai su que j’étais capable de matérialiser une idée, un message, une émotion, et que l’on pouvait m’écouter. Cette année-là j’ai découvert plus qu’une passion : une vocation. Je sais que cette expérience m’a transformée, et j’aimerais que d’autres jeunes puissent avoir cette chance. Voilà pourquoi j’aime profondément mon sujet de recherche.

Votre terrain d’enquête vous a-t-il surpris ?

Oui, beaucoup. J’ai d’abord été frappée par le projet LÓVA en lui-même, par son exigence, sa reconnaissance nationale et les moyens qui lui sont accordés. Rappelons que le franquisme a menacé l’Espagne jusque dans les années 1970 et que l’histoire des politiques culturelles de ce pays est bien moins longue que la nôtre. J’étais surprise de constater qu’un tel projet n’existait pas encore en France. Et pourtant, l’EAC est aujourd’hui une priorité de nos politiques culturelles actuelles. De manière générale, j’ai remarqué une façon bien différente de concevoir la médiation culturelle en Espagne.

Ensuite, ce sont les enfants qui m’ont étonnée ! La complexité des sujets qu’ils choisissent d’aborder est saisissante. J’ai été touchée par la maturité avec laquelle ils parlaient de leur projet ou du rôle qu’ils exerçaient au sein de la compagnie. J’ai aussi été impressionnée par la diversité des responsabilités qui leur étaient accordées. 

Enfin – sur un plan plus personnel –, j’ai découvert que j’aimais profondément travailler avec les enfants. Je ne m’attendais pas à une telle révélation. Cette expérience m’a offert de nouvelles envies, de nouvelles idées à explorer avec mon collectif et peut-être même une nouvelle ligne directrice.

Que voudriez-vous faire évoluer dans le secteur culturel ?

Je suis heureuse de constater que les collectivités territoriales manifestent un intérêt grandissant pour la question des droits culturels. J’aimerais que cet intérêt dépasse les discours et s’accompagne d’un véritable engagement financier en faveur des projets de création collective. En tant que jeune artiste, je remarque qu’il est beaucoup plus difficile de défendre un projet de ce genre s’il ne s’appuie pas sur une démarche personnelle d’auteur ou s’il n’est pas lié à une pièce programmée dans un théâtre.

Permettre aux enfants d’aller voir des spectacles et de fréquenter les institutions culturelles est essentiel. Cependant, j’aimerais que l’on sache aussi reconnaître l’école comme véritable lieu de culture à part entière. Je souhaite qu’un projet de création collective qui naît et grandit dans une école soit aussi légitime que celui qui naît et grandit dans un théâtre. Il faudrait que le rôle de l’enseignant, premier témoin et passeur du quotidien de l’enfant, soit beaucoup plus valorisé par les projets d’EAC.

Enfin, pour les artistes qui veulent mener des projets d’EAC, il serait sans doute nécessaire qu’ils puissent d’abord se rendre dans les écoles pour observer, écouter les conversations dans les cours de récréation, poser des questions et se laisser surprendre. Une mauvaise prise en compte des droits culturels des enfants s’explique souvent par une rencontre qui n’a tout simplement pas eu le temps d’advenir.