Atelier autour du métier de DAC
© Marie-Alix Détrie

Sur le quai des Moulins, à deux pas du centre-ville de Sète et de ses canaux, se tient le nouveau Conservatoire de musique. Dans la cour intérieure de cet imposant bâtiment à la façade vitrée, plusieurs centaines de personnes sont venues assister aux deux journées des Assises nationales de la Fnadac (Fédération nationale des associations de directeurs des affaires culturelles). Parmi les thèmes abordés ce jeudi 20 octobre : le sens même du métier de DAC.

Vers 11 h, les conférences et ateliers débutent. Une trentaine de personnes longent des couloirs blancs et s’arrêtent devant une salle. Sur la porte, le thème du world café est inscrit au stylo : « Le métier de DAC post-crise sanitaire, transition ou transformation ? ». Stella Morin (chargée d’études à L’A, Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine) et Marieke Doremus (coordinatrice des projets Culture et Recherche à UBIC, université Bordeaux Montaigne) posent le contexte de cette séquence de réflexion collective.

Depuis plusieurs mois, elles mènent une étude sur ce maillon essentiel des politiques culturelles qu’est le métier de DAC. Au sein des administrations territoriales, les DAC sont un référent majeur pour les professionnels du champ culturel, un interlocuteur privilégié pour les partenaires extérieurs, un médiateur entre la collectivité et les porteurs de projets, un point d’appui incontournable pour les élus. Depuis l’apparition des premières figures de cette profession, dans les années 1960, la mission des DAC a sensiblement changé avec l’évolution des politiques culturelles en France. Aujourd’hui, alors que le secteur culturel est en plein questionnement sur son rôle et les financements qu’on lui accorde dans un contexte économique tendu, le métier de DAC est en proie à de profondes interrogations.

Au fil des entretiens, un élément ressort : le caractère « non essentiel » de la culture a marqué les esprits et les stop-and-go à répétition ont épuisé les équipes. Elles notent aussi un taux élevé de reconversions professionnelles, de burn-out et une tendance accrue au turnover. À l’origine, l’étude devait mesurer l’impact de la crise sanitaire sur cette profession, mais elles sont rapidement arrivées au constat que « les crises économique et écologique ont pris le pas sur la crise sanitaire ».

Culture non essentielle

Des DAC issus de Montpellier, de Sète, des Hauts-de-France ou encore d’Aubagne, sont répartis autour de trois tables, par groupes thématiques. Beaucoup se rencontrent pour la première fois, tous et toutes se rejoignent sur un point : les difficultés de leur métier. De plus en plus, les DAC se retrouvent à devoir accompagner des acteurs du territoire en grande difficulté. Nathalie Malaurie (DAC dans une commune de la Haute-Garonne) souligne la fragilité des associations culturelles qui ont développé un fort besoin d’assistance depuis les confinements. « Si ces associations cessent leur activité, c’est tout un pan de la vie culturelle de la ville qui s’éteint », s’inquiète-t-elle. Dans sa commune de 27 000 habitants, explique-t-elle, on compte 4 000 adhérents à des associations culturelles. Des aides financières ont été débloquées pendant les confinements, « mais quand on a perdu 50 % d’adhésions, on en ressort fragilisé ». Les acteurs du milieu culturel associatif ne savent pas comment faire, cherchent des personnes pour les conseiller, et se tournent vers leur DAC. « Malheureusement, on n’en sait pas plus qu’eux », déplore Nathalie.

Pour chercher des solutions, les interlocuteurs privilégiés des DAC sont les élus à la culture. Les collectivités territoriales sont aujourd’hui les principaux financeurs de la culture en France, permettant ainsi le développement d’une offre variée sur les territoires. Mais ces temps-ci, elles sont accaparées par d’autres urgences. Marieke Doremus évoque la hausse des coûts de l’énergie, exacerbée avec la guerre en Ukraine, qui fait grandir l’inquiétude concernant les financements. « Que restera-t-il pour l’art et la culture, une fois les frais de chauffage et de transports payés ? », se demande-t-elle. On lit d’ailleurs dans les journaux qu’à partir d’octobre, huit musées gérés par la ville de Strasbourg fermeront deux jours par semaine ainsi qu’entre 13h et 14h, pour réaliser des économies.

Alors très vite, une question ressort : le duo DAC/élu est-il en panne ? Un grand écart semble s’être creusé dans ce binôme. D’une part, sur la chronologie, avec des élus qui pensent sur le temps d’un mandat et des DAC qui restent sur le long terme. D’autre part, sur les solutions à apporter à des problèmes profonds, à savoir, la place d’un secteur culturel déjà affaibli, dans un contexte économique et écologique préoccupant. « Les crises ont mis en lumière des problèmes larvés », entend-on dans la salle. « Les élus qui défendent leur DAC sont souvent ostracisés. On pose trop de questions, on cherche trop de réponses, on est mis de côté. On nous dit, “c’est encore vous, la culture ?” On est les emmerdeurs. » Aux financements plus difficiles à obtenir s’ajoutent les objectifs politiques de marketing territorial et de rayonnement du territoire. « On va défendre l’événementiel plutôt que la culture, ce qui est un glissement assez négatif », reprend Marieke. Elle tempère néanmoins son point de vue en rappelant que cette approche dépend pour beaucoup des énergies locales et des équipes en place, « selon que l’on est dans une commune gérée par une personne un peu statique, ou par une personne jeune et motivée ».

Atelier autour du métier de DAC
© CNFPT – Alexandre Laversin

Une phase de transformation s’impose

Frédérique* (DAC dans une commune en Occitanie) retient de ces échanges « qu’on n’est pas seuls dans la dépression. Ce que j’ai entendu aujourd’hui confirme exactement ma propre expérience ». Elle aimerait continuer à exercer son métier, mais dans le secteur privé. Elle est consciente que son employeur n’est pas la cause des difficultés rencontrées, qu’il s’agit bien d’un problème plus général. Selon elle, « une phase de transformation s’impose, pas uniquement pour les DAC mais pour la culture dans son ensemble. Il faut un changement de modèle global. Les collectivités ne peuvent pas tout gérer. Ce modèle est épuisé, trop sclérosé ». Car, analyse-t-elle, « on n’a pas les mêmes priorités. Les élus ne restent pas longtemps et pensent à leur réélection. Au vu des enjeux d’instrumentalisation de la culture pour faire de la politique, avec la concurrence des territoires et l’allègement des budgets, on ne peut plus travailler ».

Marieke commente, en aparté, ce qui émerge des discussions. « Je vois beaucoup d’engagement chez les DAC. Mais ces personnes n’ont pas de réponses à leurs questions, pas de solutions à leurs problèmes. Je ne sais pas si ce constat est intéressant ou inquiétant, tant il est homogène. » Elle regrette aussi que leur parole ne soit pas suffisamment présente dans l’espace public. « C’est pourtant un poste et un métier essentiels pour percevoir ce qu’il se passe dans la politique culturelle en France. Le DAC est au carrefour de tous les problèmes entre les acteurs, c’est un véritable liant […] Or, s’il n’est pas en “bonne santé” et écouté, il ne peut plus jouer ce rôle. »

Si les DAC craquent, quelles conséquences pour la culture ? Pour Florence Cailton (DAC dans une commune de la Nouvelle-Aquitaine), la réponse est simple : « Aujourd’hui, on est dans un discours politique qui peut tendre vers une culture simpliste et médiatique. Les DAC sont les derniers remparts contre ça. Demain, s’ils ne sont plus là, il y aura quoi ? La régression culturelle, du show-biz uniquement ? »

Lors de la conclusion de l’atelier, les tensions dans les équipes et avec leur hiérarchie sont mises en exergue. Les DAC peinent à prioriser, à faire face aux urgences, et voient la partie « accompagnement » de leur métier prendre une ampleur inattendue autant qu’inédite. Dans la salle, une voix s’élève : « On ne trouve pas le temps de la réflexion. On ne sait pas comment faire, il faudrait arrêter le temps. » Dans le groupe de participants se tenaient aussi deux stagiaires, nouvellement arrivés dans la profession. Olivier en fait partie, il a bien perçu les conditions complexes du métier dans lequel il se lance. Mais à ses yeux, « c’est enthousiasmant. Toutes ces questions montrent qu’il y a des solutions à trouver, que les choses bougent. Alors on essuiera certainement les plâtres, mais il y a de la place pour penser les choses différemment ! ». La réflexion sur la transformation du métier de DAC et du secteur culturel à grande échelle est en effet bien là. Il ne reste plus qu’à prendre le temps de l’investir.

Cet article a été écrit, dans le cadre d’un partenariat entre la Fnadac et l’OPC, à l’occasion des 6es Assises nationales des DAC.