Photo : © Aranxa Esteve sur Unsplash

En 2019, ce sont près de 7 300 festivals qui ont connu une édition sur l’ensemble du territoire. Pour établir ce recensement, quatre critères cumulatifs ont été retenus : avoir eu lieu en 2019 (ou en 2018 pour les biennales), avoir connu au moins deux éditions, se dérouler pendant un temps limité (mais sur plus d’une journée), proposer au moins cinq représentations, concerts, animations ou projections, selon le domaine du festival (musique, spectacle vivant, cinéma, salon du livre…).

Ces 7 300 festivals varient considérablement en taille et en portée. Certains proposent des dizaines de programmations différentes, d’autres s’apparentent davantage à des fêtes de village avec une démarche artistique ou culturelle. Cette grande diversité constitue la richesse du fait festivalier, qui s’est développé depuis 1981 grâce à une politique culturelle privilégiant l’événementiel et son côté festif.

Les régions du sud de la France sont celles qui rassemblent le plus grand nombre de festivals : on en compte plus de 900 en Auvergne-Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Occitanie. Avec la Nouvelle-Aquitaine (830 festivals), ces quatre régions concentrent la moitié des festivals recensés à l’échelle nationale, pour 37 % de l’ensemble de la population. Lorsqu’on rapporte le nombre de festivals à la population régionale, d’autres régions plus modestes en superficie et population s’avèrent richement dotées : la Corse (20), la Bretagne ou encore la Bourgogne-Franche-Comté comptent de 16 à 18 festivals pour 100 000 habitants, par exemple.

Le festival : un événement surtout estival ?

Sur le territoire métropolitain, près de quatre festivals sur dix ont lieu au cours de la saison estivale (du 21 juin au 5 septembre), tandis que la programmation varie selon les saisons sèches ou humides dans les territoires ultramarins. Il y a donc un effet de saisonnalité manifeste, en particulier dans les régions du sud de la France, mais aussi dans une région littorale comme la Bretagne, qui bénéficient, outre de la douceur du climat estival permettant une programmation extérieure, d’une attractivité touristique qui profite aussi à la fréquentation festivalière. Cette géo-saisonnalité pose, à terme, la question de la soutenabilité des événements culturels, en particulier ceux qui attirent un public nombreux : dans le sud de la France, le dérèglement climatique menace d’accentuer prochainement le risque de chaleurs estivales trop intenses qui compromettront l’organisation de festivals à ces dates.

Densité de l’offre festivalière régionale

densité de l'offre festivalière régionale
Source : France Festivals / Cepel / DEPS, ministère de la Culture, 2022

À l’inverse, l’Île-de-France ne compte qu’un festival sur cinq programmé au cours de la saison estivale, tandis que 44 % des festivals de cette région sont programmés en avant-saison. C’est aussi le cas des Hauts-de-France, où 25 % des festivals seulement ont lieu au cours de la saison estivale et 42 % en avant-saison. Il ne s’agit pas ici uniquement d’une caractéristique climatique. Les espaces les plus urbanisés sont souvent ceux où le tropisme estival est le moins prégnant. Et ce qui est vrai entre la région parisienne et le reste du territoire français l’est également au sein de chaque région, entre leur(s) métropole(s) et d’autres lieux, à l’exception de certaines métropoles littorales comme Marseille, Toulon, Nice ou La Rochelle. Pour expliquer cette extension dans le temps de la programmation festivalière, on peut avancer deux hypothèses : la première est que l’espace événementiel est en partie saturé l’été, et que les promoteurs de nouveaux festivals n’y ont plus de créneau disponible, sauf à se livrer à une concurrence à haut risque pour chacun. La seconde raison a trait au renforcement des relations entre festivals et acteurs sociaux et culturels établis sur les territoires tout au long de l’année (conservatoires, médiathèques, organismes sociaux et éducatifs), constaté dans l’étude SoFEST ! Publiée en 2021 sous le titre Festivals, territoire et société, dans la collection « Questions de culture », Paris, ministère de la Culture/Presses de Sciences Po. . L’été est peu propice à de tels liens, et le développement de partenariats s’effectue après et surtout avant la saison estivale. On note ainsi que plus les festivals sont récents, plus ils s’inscrivent dans ces nouveaux temps de la festivalisation.

Saisonnalité des festivals à l’échelle régionale

Saisonnalité des festivals à l'échelle régionale
Source : France Festivals / Cepel / DEPS, ministère de la Culture, 2022

Une croissance irrésistible ?

Certains festivals, considérés comme emblématiques Selon la typologie des sept familles de festivals établie par A. Djakouane et E. Négrier, ibid., chap. VII, p. 209 à 235. dans leur domaine de programmation, existent depuis plusieurs décennies et doivent leur caractère emblématique à leur notoriété et à leur place dans l’histoire culturelle. C’est, par exemple, le cas des Chorégies d’Orange pour l’opéra et la musique classique, créées en 1869 et relancées en 1971, du Festival de Cannes pour le cinéma, fondé en 1939, du Festival d’Avignon pour le théâtre, créé en 1947, ou encore des Rencontres de la photographie d’Arles dont la cinquante-quatrième édition aura lieu en 2023.

On observe ensuite des effets de génération dans la dynamique de création des festivals : certains festivals historiques sont liés à la décentralisation théâtrale mise en œuvre à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’autres à l’élargissement des esthétiques en matière de musique (Jazz à Vienne, créé en 1981), de spectacle vivant (Chalon dans la rue, dédié aux arts de la rue, fondé en 1987) ou d’arts visuels (Rencontres de la photographie, fondées en 1970).

Décennie de création des festivals

Source : France Festivals / Cepel / DEPS, ministère de la Culture, 2022

Même s’ils bénéficient d’une large notoriété, seuls 3 % des festivals ayant connu une édition en 2019 ont été créés avant 1980, tandis que les trois quarts ont été créés depuis 2000, et plus particulièrement 49 % au cours de la dernière décennie. Ce résultat témoigne d’un fort effet de renouvellement en matière de création de festivals, un phénomène qui va de pair avec leur essor dans d’autres domaines que la musique (cinéma, littérature, arts visuels, spectacle vivant), même si celle-ci reste dominante.

Une dominante musicale, mais pas seulement

La musicalisation croissante observée depuis le début des années 1980 s’illustre dans la place particulière que prennent les festivals de musique dans l’ensemble des festivals : 44 % sont des festivals de musique. Dans le Centre-Val de Loire (57 %) et en Bretagne (53 %), cela concerne plus de la moitié des festivals.

Discipline dominante des festivals

Source : France Festivals / Cepel / DEPS, ministère de la Culture, 2022

Dans certains départements, ce sont plus de la moitié des festivals qui ont pour thématique dominante la musique : ainsi en va-t-il de l’Indre par exemple, où les trois quarts des festivals sont consacrés à la musique, classique ou actuelle. On trouve aussi, dans ce groupe à dominante musicale, la Manche, l’Eure, l’Aisne, la Meuse, l’Aube, l’Indre-et-Loire, l’Eure-et-Loir et les quatre départements de la Bretagne : les Côtes-d’Armor, l’Ille-et-Vilaine, le Finistère et le Morbihan. C’est enfin également le cas du Doubs, de la Haute-Saône et du Jura en Bourgogne-Franche-Comté, ou encore des deux Savoie en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce développement des festivals musicaux n’est pas sans présenter un risque en matière de concentration économique, dans la mesure où ils font partie d’un écosystème où les intérêts industriels se sont fortement affirmés au cours des deux dernières décennies Sur le sujet, voir l’avis 21-A-08 de l’Autorité de la concurrence saisie par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale sur un risque de concentration dans le secteur des musiques actuelles : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/integral_texts/2021-05/21a08_couverture.pdf .

En moyenne, sur l’ensemble du territoire, les festivals de spectacle vivant (théâtre, danse, arts de la rue, arts du cirque, marionnettes) comptent pour 22 % de l’ensemble des festivals. Dans certaines régions et certains départements ultramarins, et contrairement à la tendance générale observée, ce sont même les festivals de spectacle vivant qui prédominent : cette discipline est dominante en Martinique (53 %) et à Mayotte (44 %), et la part des festivals musicaux y est plus faible qu’ailleurs (20 % seulement à La Réunion). En France métropolitaine, les départements où plus d’un tiers des festivals mettent à l’honneur le spectacle vivant sont essentiellement ruraux : Deux-Sèvres, Meuse, Vienne, Tarn, Lot, Lot-et-Garonne…

Les festivals de livre et littérature (12 %), de cinéma (9 %), pluridisciplinaires (6 %) et d’arts visuels et numériques (5 %) sont moins nombreux, même si dans chacun de ces domaines, on compte des festivals historiques, à la notoriété nationale et internationale, comme Étonnants Voyageurs à Saint-Malo pour la littérature, le Festival du court-métrage à Clermont-Ferrand pour le cinéma, les Nuits de Fourvière à Lyon pour les événements pluridisciplinaires ou encore les Promenades photographiques en Centre-Val de Loire.

Certains départements ont fait du livre et de la littérature une thématique dominante : près d’un tiers des festivals des Alpes-de-Haute-Provence, 29 % dans le Cantal, un quart dans la Drôme, le Lot-et-Garonne, la Haute-Loire, la Haute-Vienne…

Un aménagement culturel du territoire qui ne dit pas son nom

On peut faire l’hypothèse, dans ce cas de spécialisation d’un département, souvent rural, que le festival incarne un temps fort et s’appuie sur un réseau de lecture solide, structuré et actif qui fédère les initiatives et les acteurs locaux, maille le territoire et impulse une dynamique. La notion d’événementialisation de la culture mérite alors d’être nuancée : si le festival incarne bien un temps fort, circonscrit dans le temps, son caractère éphémère doit être replacé dans une temporalité plus longue. Ainsi les festivals, en particulier parmi les familles des « Volontaires » et des « Petits formats », s’appuient aussi sur une structure et sur un réseau d’acteurs pérennes qui travaillent au quotidien pour faire vivre la culture dans les territoires. L’événementialisation repose donc également sur une forme de permanence, que ce soit celle des équipements culturels, des professionnels de la culture ou des réseaux.

Lorsque l’on applique la grille de densité de l’Insee qui permet de caractériser les espaces urbains et ruraux, on observe une répartition assez homogène des festivals sur trois niveaux territoriaux : un peu plus d’un tiers des festivals (35 %) ont lieu dans les grands centres urbains et incarnent ainsi la dynamique de métropolisation des festivals à l’œuvre au cours des trois dernières décennies ; près d’un tiers se déroulent dans l’urbain intermédiaire (centres urbains de taille plus modeste que les métropoles, petites villes et ceintures urbaines) ; un dernier tiers, enfin, trouvent place dans les territoires ruraux (bourgs ruraux, rural à habitat dispersé ou très dispersé). Cette large diversité de l’implantation festivalière est la preuve que le fait festivalier est désormais installé dans le paysage de l’action culturelle des collectivités territoriales, quelle que soit leur taille.

Fédérateur, synonyme de moment festif, le festival participe ainsi pleinement de l’irrigation culturelle du territoire. Les collectivités territoriales l’ont compris et en ont fait, pour les plus célèbres d’entre eux, un instrument de marketing territorial, accolant le nom de la collectivité à celui du festival (Eurockéennes de Belfort, Jazz in Marciac, Printemps de Bourges, Festival d’Avignon, pour les plus connus, mais aussi toutes les déclinaisons qui jouent sur la toponymie, comme Au Gray des mots, et qu’il ne serait pas possible de toutes citer ici). Reposant, pour une grande part, sur l’engagement bénévole, les festivals sont le plus souvent des structures souples qui épargnent aux collectivités la charge financière de fonctionnement d’un équipement culturel, ce qui explique aussi l’engouement des collectivités à les soutenir – tant que la conjoncture économique reste favorable. Elles y voient une forme d’aménagement culturel à faible coût pour les finances publiques, et à fort rendement symbolique tant la dimension festive et fédératrice semble appréciée des publics. Il reste que cette souplesse, perçue comme un atout, peut s’avérer une faiblesse en cas de retournement de conjoncture économique : le soutien par la subvention n’engage pas la collectivité de façon pluriannuelle et peut être réexaminé à chaque changement de mandature, par exemple, remettant en jeu la survie du festival.

Pour consulter l’étude : Edwige Millery, Emmanuel Négrier, Stéphane Coursière, Cartographie nationale des festivals : entre l’éphémère et le permanent, une dynamique culturelle territoriale, collection « Culture études », DEPS, ministère de la Culture, https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2023/Cartographie-nationale-des-festivals-CE-2023-2