Dessin : © Bap Tiste

À la suite de la déclaration de Gérald Darmanin sur la sécurisation des Jeux olympiques de 2024 et l’annulation des festivals, un grand nombre d’élus et d’acteurs culturels ont demandé une concertation. A-t-elle eu lieu et à quoi a-t-elle abouti ?

Frédéric Hocquard – Nous avons fait plus que demander une concertation. Pour rappel : le ministre annonce, en octobre 2022, devant la commission Culture du Sénat que, pendant la période des JO (soit trente jours), il n’y aura plus aucun festival culturel sur le territoire. C’était totalement extravagant ! Il existe des milliers de festivals, des territoires qui en vivent, des millions de touristes qui viennent pour cela. Il y a donc eu une mobilisation de la part de la FNCC, des élus, des organisations professionnelles. Tout le monde a réagi, tout le monde était stupéfait. Une discussion s’ouvre où nous faisons valoir que le maintien doit être la règle et l’annulation l’exception. Il est aussi regardé, dans le détail, les grands festivals qui ne pourront pas avoir lieu afin de les décaler (Avignon, les Vieilles Charrues, Rock en Seine…). Pour finir, une circulaire est publiée fin décembre, précisant tout cela. À ce jour, à une ou deux exceptions près (là où subsistent encore des difficultés), les festivals sont maintenus ou ont été différés.

Finalement, nous n’avons jamais discuté avec le ministère de l’Intérieur, mais avec la ministre de la Culture. Je dois reconnaître qu’elle a joué un rôle très positif dans cette crise et qu’elle a défendu la culture face à son collègue de l’Intérieur. Et les résultats sont là.

Les manifestations culturelles ne sont plus susceptibles d’être annulées, mais existe-t-il des zones de flou ?

F. H. – La règle de la circulaire est simple : tous les festivals qui n’ont pas besoin d’unités de force mobile  c’est-à-dire 130 compagnies de CRS ou de gendarmes, mises à disposition par le gouvernement  peuvent avoir lieu. Ce qui constitue la majeure partie des festivals en France. Néanmoins, il reste un point de vigilance, puisque tout cela est à la discrétion des préfets et nous voyons, sur d’autres sujets, qu’ils appliquent de manière assez différente les circulaires en fonction des territoires. Un préfet pourrait dire, au mois de mars 2024 : « Votre festival n’est pas autorisé car des débordements sont à craindre, et dans ce cas je ne pourrai pas appeler des CRS. »

Nous allons donc rester attentifs sur ce point, d’autant que la prépondérance de l’aspect sécuritaire s’est amplifiée. Par exemple, des festivals ou des concerts ont été annulés consécutivement aux émeutes urbaines, par anticipation à de possibles problèmes. Or, la culture ne peut pas être une variable d’ajustement : ces événements sont créateurs de communs, de dynamiques positives.

Peut-être faudra-t-il revoir les normes de sécurité, ne pas les supprimer mais les confier aux organisateurs ? Nous avons des exemples où ils ont mieux réussi à canaliser les foules que la police. À l’été 2022, par exemple, la finale de la Ligue des champions de football au Stade de France a été un fiasco, le monde entier a protesté contre le dispositif policier mis en place par le préfet de police de l’époque, Didier Lallement. Tandis qu’au festival We Love Green, à Vincennes, lors d’une alerte orage, 40 000 personnes ont été évacuées en une heure, sous la pluie, sans une égratignure, sans presque aucunes forces de police.

Ce sont des choses qui peuvent être réinterrogées : comment faire baisser la pression, ne pas être dans une surenchère de sécurité ? Peut-être, aussi, faut-il que certains préfets fassent davantage confiance aux professionnels, aux organisateurs et aux municipalités. Dans la période complexe qu’a été celle du Covid, on a vu que si le triptyque préfet/élus/professionnels fonctionnait, tout se passait bien. Sinon on tombe dans des situations absurdes et le tout-sécuritaire finit par tuer l’événement culturel lui-même.

Que donne à comprendre cette séquence de la place de la culture sur le plan politique ?

F. H. – Ce qu’il s’est passé est extrêmement inquiétant. Il y a dix ou quinze ans, un ministre de l’Intérieur n’aurait pas pu, n’aurait pas osé dire cela. Cela révèle en vérité que la place de la culture est fragilisée. Elle a bougé, dans la société et sur le plan politique, depuis le Covid. Rappelons-nous : il a fallu une mobilisation des maires, des élus, des organisations professionnelles pour demander à rouvrir les cinémas, les théâtres, les musées, redonner un peu d’air, faire valoir que cela participait du combat sanitaire, en tout cas du bien-être psychologique de nos habitants. Là encore, il y avait une question de hiérarchie de valeurs.

Il est également important de noter que pour cette première séquence Jeux olympiques, comme pour le Covid, on a assisté à la mobilisation conjointe des professionnels et des élus, ce qui n’est pas fréquent. C’est aussi la force de la culture : rassembler des gens qui ne sont pas forcément d’accord sur le plan politique, mais soudés pour défendre la culture. Il y a eu une « union sacrée ».

Les JO 2024 sont-ils vecteurs d’opportunités pour le secteur culturel ?

F. H. – Les Olympiades culturelles fonctionnent, à mon sens, à deux conditions : quand elles ont été prises longtemps en amont (globalement dès qu’on a su que les JO auraient lieu en France) à l’image du département de Seine-Saint-Denis qui a travaillé autour de résidences d’artistes dans des lieux sportifs, dès 2018, pour permettre une véritable « infusion territoriale » ; et, deuxième condition, lorsque les territoires s’en saisissent en mettant autour de la table des représentants des pratiques sportives et des pratiques artistiques (il existe des exemples intéressants à Bourges, à Martigues, à Marseille…). Quand ce sont de simples appels à projets d’Olympiades culturelles, on ressent une sorte d’effet d’opportunité avec des réalisations moins convaincantes et moins créatives.

C’est intéressant, sur le fond, de faire dialoguer sport et culture – ce sont d’ailleurs les deux grandes pratiques de nos concitoyens – et d’interroger la façon dont on organise ce dialogue, y compris entre les professionnels des deux secteurs. Mais ce type de projet ne peut pas se faire au dernier moment, sur un coin de table.

Parmi les opportunités, je pense notamment au breaking qui entre au JO en tant que nouvelle discipline et peut-être que cela contribuera à une plus grande reconnaissance ou à un changement de regard sur les esthétiques hip-hop. On pourrait aussi, pourquoi pas, imaginer d’autres croisements, d’autres synergies, entre skate et musique, par exemple, comme on a pu en avoir un aperçu lors de We Love Green en 2023.

La question centrale est de savoir si les Jeux olympiques ne vont être qu’une fête aseptisée ou s’ils seront une fête populaire, un temps de rencontres, de créativité, d’échange entre sport et culture. Le fait que la parade soit en extérieur et confiée à un artiste, Thomas Jolly, est un signal fort.

Quel sera l’impact de ce méga-événement en matière d’attrait touristique et comment concilier cet enjeu avec celui de tourisme durable défendu par la Ville de Paris dont vous êtes par ailleurs élu, adjoint en charge du tourisme et de la vie nocturne ?

F. H. – Les Jeux olympiques sont là, ils existent. La question est de savoir comment en faire un accélérateur sur un certain nombre de sujets, de pratiques, y compris touristiques. À Paris, nous effectuons une transition vers un tourisme durable et écoresponsable. Pour y parvenir, il faut le maîtriser (c’est-à-dire commencer à réguler le nombre de touristes, de logements Airbnb, d’avions). Cela fait partie des objectifs que l’on se fixe – à partir de 2025. Sinon, nous serons emportés dans le phénomène du surtourisme, comme d’autres capitales européennes (Amsterdam, Barcelone…).

Sur les JO, il n’y aura pas forcément plus de monde puisqu’il y a autant de personnes qui viennent en plus qu’en moins : certaines seront attirées par les JO, mais d’autres préféreront reporter leur séjour pour visiter tranquillement la ville. Je m’appuie, pour dire cela, sur une étude interne de l’Office du Tourisme de Paris menée sur les quatre ou cinq derniers Jeux olympiques. Il va y avoir 15 millions de touristes – c’est en général ce qu’on a à Paris l’été  dont 10 millions venant de France. Les JO sont surtout une grande fête nationale. Amener les Français à avoir des pratiques différentes, notamment en matière de transport, est notre objectif, mais la difficulté est le prix du billet SNCF. Une étude de Greenpeace Étude publiée en juillet 2023 : https://www.greenpeace.fr/espace-presse/nouveau-rapport-le-train-deux-fois-plus-cher-que-lavion-en-europe/ montre que le train est deux fois plus cher que l’avion en Europe et c’est un vrai problème !

Dans la transition écologique, il y a une forte dimension culturelle, notamment à travers les récits, les imaginaires… Que racontent les JO 2024 ?

F. H. – Même si des croisements intéressants peuvent naître entre culture et sport, cela reste un gigantesque événement sportif. Si on parle de la transition climatique, ce n’est pas aux JO que cela va se passer. Ils sont une sorte de parenthèse. On ne peut pas tordre le bâton complètement dans l’autre sens : c’est un événement qui draine plusieurs millions de personnes avec les conséquences que cela suppose. Il s’agit d’un méga-événement organisé et sponsorisé par toutes les grandes multinationales nord-américaines, ou française avec LVMH, qui ne sont pas connues pour être les thuriféraires de l’écologie et du développement durable. Cela se fera à un autre endroit, au niveau des territoires.