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Comment le ministère de la Culture intervient-il dans le développement d’une politique touristique et avec quels instruments ?

La culture est un moteur pour le tourisme : près de la moitié des touristes qui visitent notre pays – internationaux et français réunis – choisissent la France pour la richesse et la diversité de son offre culturelle, patrimoniale et artistique. Le tourisme culturel constitue ainsi un important vecteur de rayonnement et de développement pour nos territoires. Sur un autre plan, les vacances et les séjours touristiques sont fortement propices à la pratique d’activités culturelles et aux expériences artistiques, ce que montrent régulièrement nombre d’enquêtes : le tourisme représente un vrai levier pour l’accès de tous à la culture. Le tourisme culturel constitue donc, fort logiquement, une politique à part entière du ministère de la Culture, que nous menons dans un cadre interministériel et partenarial.

Nous coopérons très activement avec le ministère chargé du tourisme et son opérateur Atout France au travers de conventions fixant des « plans d’action », se déclinant tant à l’échelle nationale qu’à travers les politiques développées dans les régions. Cela a renforcé la position du ministère de la Culture auprès des professionnels du tourisme aux niveaux national et local avec lesquels nous nouons également des collaborations : par exemple l’UNAT (Union nationale des associations de tourisme et de plein air, tête de réseau du tourisme social et solidaire), la FNHPA (Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air), ADN Tourisme (Fédération des organismes institutionnels du tourisme). Nous développons aussi des projets communs avec de multiples acteurs investis, au cœur des territoires, sur les enjeux tourisme et culture comme les Parcs naturels régionaux, les Itinéraires culturels européens, les Petites Cités de Caractère, la Fédération française de randonnée, et d’autres encore.

Aujourd’hui, notre pays fait face à un important défi : parvenir à mieux répartir les flux touristiques sur l’ensemble du territoire, qui restent principalement concentrés sur Paris et un petit nombre de régions : 80 % de l’activité touristique se condense sur 20 % du territoire. Cela est d’autant plus nécessaire que certains sites atteignent un niveau de fréquentation très élevé, et parfois critique, constituant une menace pour la préservation de ces destinations, pour l’environnement, pour la qualité de vie des résidents et pour l’expérience touristique elle-même. Mais la France a un grand atout : elle bénéficie d’une offre culturelle, patrimoniale et artistique très riche et diversifiée, assez bien répartie sur l’ensemble du territoire et s’adressant à tous les publics. Elle peut s’appuyer sur le dynamisme culturel de nombreuses collectivités et sur la densité de son tissu culturel et de ses acteurs : établissements, sites, événements, festivals, équipes artistiques et artistes, associations, réseaux culturels et patrimoniaux. Afin de mieux irriguer tout le territoire des flux de visiteurs, la culture a, d’évidence, un rôle essentiel à jouer.

Je pense en particulier aux territoires ruraux où, avec l’imagination des acteurs de terrain et des collectivités, nous pouvons inventer localement des histoires et des expériences inspirantes qui pourront, nous l’espérons, faire école à plus grande échelle. Des projets exemplaires et des solutions voient aujourd’hui le jour un peu partout, quand enthousiasme et créativité s’alimentent mutuellement. Le « Printemps de la ruralité », grande concertation nationale sur la vie culturelle en milieu rural annoncée par la ministre de la Culture début février 2024, constitue une belle occasion de mettre en valeur ces initiatives.

Musées et monuments peuvent actionner plusieurs leviers pour réguler les flux et améliorer l’accueil des publics, sans forcément limiter le nombre de visiteurs.

Au regard de cette polarisation touristique sur quelques grands musées et monuments qui entraîne à la fois une surfréquentation des sites et une concentration des flux de touristes, envisagez-vous que des mesures de régulation soient mises en place et de quels moyens d’action le ministère dispose-t-il ?

Récemment, un sondage OpinionWay pour Evaneos Plateforme de mise en relation de voyageurs avec des agents locaux spécialisés dans la création de voyages sur mesure. indiquait que trois quarts des Français ont déjà renoncé à visiter un site touristique à cause du nombre trop important de touristes ou en raison du temps d’attente pour y accéder. Un répondant sur deux (52 %) était favorable à l’instauration de quotas de visiteurs pour limiter la surfréquentation des sites Enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1 009 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus du 24 au 25 janvier 2024 par le biais d’un questionnaire en ligne.. Votre question tombe à point nommé.

Plusieurs établissements relevant du ministère de la Culture concentrent une forte fréquentation, c’est exact. Mais comprenons bien que la problématique des flux de visiteurs que vous évoquez se pose en des termes assez différents d’un site à l’autre en raison de multiples facteurs : la localisation du musée ou du monument (dans un environnement marqué par une forte affluence, ou non), la densité de l’offre culturelle et touristique à proximité, des effets de saisonnalité plus ou moins forts, la configuration des espaces d’accueil et de visite, et bien d’autres éléments encore. Prenons l’exemple du château de Versailles qui a accueilli 8,1 millions de visiteurs en 2023 : je ne parlerais pas de surfréquentation, ce qui n’est pas la réalité, mais plutôt de pics de fréquentation observés à des périodes déterminées (vacances de Pâques, certains week-ends prolongés, juillet-août et fêtes de fin d’année). Bien d’autres sites culturels et patrimoniaux ayant une fréquentation annuelle élevée (sortons aussi de Paris et sa région !) sont dans cette situation, ou tout comme.

Cas très particulier s’il en est, le Louvre a instauré en juin 2022 une jauge quotidienne de 30 000 billets disponibles afin d’éviter la saturation du musée, d’offrir un plus grand confort de visite et de garantir de meilleures conditions de travail à son personnel. 2024, année olympique, verra le maintien de cette jauge. En outre, la réservation recommandée d’un créneau horaire de visite (pratiquée aujourd’hui par 80 % des visiteurs du Louvre) permet de lisser efficacement les flux sur l’ensemble d’une journée. Enfin, le musée a rétabli une nocturne hebdomadaire chaque vendredi et envisage d’en ajouter une seconde, le mercredi, à partir d’avril 2024. Dans cette configuration, le Louvre a accueilli 8,9 millions de visiteurs en 2023, soit 14 % de plus qu’en 2022.

Ces derniers éléments montrent que musées et monuments peuvent actionner plusieurs leviers pour réguler les flux et améliorer l’accueil des publics, sans forcément limiter le nombre de visiteurs. Des actions sont développées en ce sens par la plupart des établissements du ministère de la Culture, et soutenues par celui-ci, depuis plusieurs années. C’est notamment le cas du Centre des monuments nationaux (CMN), rassemblant plus de cent monuments dans toute la France Le Centre des monuments nationaux recense 18 monuments recevant plus de 100 000 visiteurs par an. dont l’Arc de Triomphe, l’abbaye du Mont-Saint-Michel, le Panthéon, le château et les remparts de la cité de Carcassonne, la Sainte-Chapelle ou encore le château royal de Villers-Cotterêts, Cité internationale de la langue française.

Produisant d’importants et durables efforts dans l’aménagement des lieux de visites et l’amélioration de la qualité d’accueil, le CMN a également déployé dans ses sites les plus fréquentés un ensemble de solutions au service d’une meilleure gestion des flux de visiteurs. Ceux-ci sont incités à acheter au préalable leur billet en ligne (via des QR codes redirigeant vers une e-billetterie) et accèdent au site par des billets horodatés, sur un créneau de visite. Dans le courant de cette année devrait être expérimenté un dispositif de « fast buy », caisses portatives permettant de vendre des billets dans les files d’attente (et donc de réduire l’attente à la billetterie et de fluidifier les passages). Par ailleurs, des quotas sont donnés aux opérateurs touristiques pour la revente de billets (nombre de places limitées par jour avec une attention particulière portée à la haute saison et aux week-ends à forte affluence), priorité étant accordée aux professionnels effectuant la vente de visites dans des sites moins fréquentés du réseau des monuments nationaux. À l’entrée des sites très visités, qui ne figurent plus dans les campagnes de promotion menées par l’établissement ni dans les programmes de partenariats touristiques, des panneaux et brochures valorisent les autres monuments du CMN, représentant autant d’alternatives aux lieux emblématiques. Enfin, plusieurs monuments sont aujourd’hui accompagnés par des prestataires développant des technologies innovantes dans le domaine du comptage et de la gestion des flux en temps réel.

Là encore, tout ceci n’altère en rien la fréquentation puisqu’en 2023 le CMN affiche un record de 11 millions de visiteurs, 15 % de plus qu’en 2022.

Pourquoi une année franco-chinoise du tourisme culturel ? Quels sont les objectifs politiques d’une telle initiative ?

En 2019, les gouvernements français et chinois ont décidé d’un commun accord d’organiser une année franco-chinoise du tourisme culturel afin de promouvoir leurs destinations respectives et les échanges culturels et touristiques entre les deux pays. Celle-ci aurait dû avoir lieu en 2021 mais, entretemps, est intervenue la pandémie de Covid-19 qui a mis en pause ce projet. Finalement, cette année a été lancée en janvier 2024 à l’occasion du soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, avec une programmation riche mettant singulièrement en valeur notre coopération culturelle dans de nombreux domaines. Celle-ci s’adresse à un large public afin de favoriser la reprise des voyages de touristes chinois en France – et inversement, après trois ans de crise sanitaire et une année de lent redémarrage.

L’année franco-chinoise du tourisme culturel propose une plongée au cœur des créations artistiques et des patrimoines culturels français et chinois pour que se développe un tourisme plus qualitatif, propice à des séjours plus longs et mieux répartis dans le temps et dans l’espace. Toutes les formes d’art sont convoquées : arts visuels, patrimoine, architecture, théâtre, danse, musique, cinéma, expériences immersives, métiers d’art… Nous souhaitons valoriser d’autres lieux que les sites touristiques et patrimoniaux les plus connus dans l’un et l’autre pays pour essayer d’encourager les touristes à découvrir d’autres territoires. Notre objectif est aussi de toucher une audience élargie, d’étendre le cercle des visiteurs et amateurs de nos deux pays et de répondre à la demande de visiteurs désireux d’avoir des séjours plus personnalisés, plus nombreux aujourd’hui.

Cette année est rythmée par de multiples événements culturels exceptionnels. Plusieurs institutions culturelles françaises mettent en lumière la scène culturelle chinoise et les liens artistiques entre nos deux pays. C’est le cas par exemple du Centre Pompidou, avec une exposition collective consacrée à la jeune scène contemporaine. Le musée Guimet, quant à lui, propose de nombreux temps forts sur plusieurs périodes artistiques. En Chine, seront présentées une exposition du château de Versailles au musée du Palais à la Cité interdite et deux autres du Mobilier national. La musique française s’exporte également avec des représentations du Ballet de l’Opéra national de Bordeaux et une tournée des comédies musicales. Le public chinois pourra aussi redécouvrir des classiques, comme Les Misérables mis en scène par Jean Bellorini et Les Fourberies de Scapin de la Comédie-Française Voir : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Une-annee-de-cooperation-touristique-et-culturelle-avec-la-Chine.

Rappelons enfin, précision importante, que depuis le 1er décembre 2023 et jusqu’au 30 novembre 2024, les Français n’ont plus besoin de visa pour des séjours touristiques en Chine de moins de quinze jours Cette évolution concerne également les touristes allemands, italiens, néerlandais et espagnols..