Michel, c’était dès l’abord une personnalité singulière et attachante.

J’aimais sa voix chaleureuse avec cet accent du sud-ouest que nous avions en commun, cette force rassurante qu’il dégageait et sa façon un peu rugueuse d’aimer les gens. J’aimais sa disponibilité bienveillante dont j’ai bénéficié quand, jeune DRAC (directrice régionale des affaires culturelles) inexpérimentée, j’avais besoin de conseils. J’aimais sa liberté de penser et d’agir.

Pour nous tous la tristesse se mêle aux souvenirs. L’équipe et les collaborateurs de l’OPC (Observatoire des politiques culturelles) garderont en mémoire leur président très estimé, qui assuma bénévolement cette fonction de 2002 à 2017. Jean-Pierre Saez, directeur pendant cette période, l’évoque dans un hommage qu’il vient de lui rendre : « J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur lui chaque fois que les circonstances l’exigeaient, il avait une intelligence politique remarquable, il savait juger avec discernement, il était d’une loyauté à toute épreuve. » Il a toujours été « un compagnon fidèle et un éclairant conseiller pour l’OPC », ajoute Emmanuel Wallon qui appréciait, comme nous tous, sa présence stimulante, énergique, convaincue, dans les instances de l’Observatoire.

Les souvenirs se pressent aussi chez ses collègues du ministère de la Culture, les élus, les artistes, les professionnels de la culture. Celles et ceux, nombreux, qui l’ont approché conservent le souvenir d’une figure emblématique de l’administration culturelle de ces dernières décennies.

Il incarnait cette génération de responsables pétris de convictions profondément humanistes, héritées de l’éducation populaire et d’engagements politiques et syndicaux, qui voyaient dans l’ambition de démocratisation culturelle portée par les différents ministres depuis André Malraux et Jack Lang un véritable projet d’émancipation et de justice sociale.

Son choix, alors qu’il était dans l’administration des Finances, de rejoindre le ministère de la Culture de Jack Lang, dès le début des années 1980, auprès de Maurice Fleuret à la direction de la musique et de la danse, témoigne de cet engagement qui ne s’est jamais démenti dans les différents postes qu’il a occupés.

Il fut, en effet, directeur régional : un DRAC qui comptait, non seulement par sa longévité dans ces fonctions – il a successivement occupé ce poste dans les régions Centre, Pays de la Loire, Languedoc-Roussillon et Île-de-France, ainsi que la présidence de l’Association des DRAC – mais essentiellement parce que sa parole, son point de vue, son argumentation s’imposaient.

Cela m’a souvent frappée. Ce n’était pas en raison d’un positionnement hiérarchique quelconque ou de l’appartenance à une élite reconnue que Michel parvenait à convaincre dans un débat. Il était écouté parce que chacun reconnaissait chez lui une finesse rare dans l’analyse des situations, un vrai courage politique, une exigence intellectuelle sans concession qui reposaient sur des convictions fortement ancrées : une haute idée du service public de la culture et de la tâche qui lui incombait, à savoir la nécessité impérative de partager avec tous l’immense richesse artistique de nos sociétés.

Ses convictions s’étaient notamment forgées dans sa vie militante, principalement au PSU (Parti socialiste unifié) auquel il a adhéré dès sa création en 1960. Devenu un militant actif, il a occupé des fonctions dans diverses fédérations ainsi qu’à la direction nationale, et il a participé à de nombreuses actions revendicatives. Ces expériences de terrain donnaient à sa parole une sorte de densité, de profondeur, d’autant plus appréciées qu’elles étaient inhabituelles dans nos administrations.

Plus récemment, on se souviendra aussi de Michel poursuivant à la retraite des activités conformes aux causes défendues toute sa vie : par exemple, le développement de l’éducation artistique et culturelle qu’il considérait comme un objectif prioritaire pour les politiques culturelles. À ce titre, il fut un président particulièrement présent et efficace de la Maison du geste et de l’image (MGI) à Paris. Attaché, depuis la première Fête de la musique, à la conception et à l’organisation de laquelle il prit part, à la diversification des musiques actuelles, il présida encore l’association de la Casa musicale à Perpignan. On n’oubliera pas pour autant son soutien à de nombreux projets artistiques et culturels, dont beaucoup en région, car ce serviteur de l’État était également un partisan convaincu de la décentralisation.

Il n’aimerait peut-être pas que je me sois attardée, dans cet hommage, sur les différents postes qu’il a occupés au ministère de la Culture, sur ses fonctions officielles. En effet, même si ce sont des repères incontournables qui structurent une existence et qui sont nécessaires pour lire un parcours, l’essentiel d’un homme n’est pas là et ce serait infiniment réducteur que de le penser, disait-il souvent. L’essentiel est bien au-delà, dans la richesse infinie des personnalités, et ce qui reste l’énigme des existences. Certes nous avons appris à connaître un peu Michel dans l’exercice de ses missions, à saisir la complexité de sa pensée et de ses choix personnels, à travers des attitudes, des attentions, des singularités, mais que savons-nous de l’essentiel ?

Il parlait peu de lui. Des anecdotes ici ou là nous rappelaient sa naissance à Albi, son adhésion profonde aux valeurs de la Résistance dans lesquelles il avait été élevé par des parents eux-mêmes résistants. Nous sentions aussi son désir d’affirmer une personnalité indépendante, de façon abrupte parfois, en même temps que son souci de l’autre et du collectif qui n’était pas sans relation avec les engagements syndicaux et politiques qui furent les siens.

Mais Michel, à la fin de sa vie, a certainement voulu nous dire ce qu’il estimait être l’essentiel, dans le faire-part de décès qu’il a écrit lui-même, d’après le témoignage de sa famille. Dans ce texte très court, comme un ultime retour sur son existence, il dit, avec ce franc-parler simple et direct qui le caractérisait, ce qui a donné sens à sa vie, ce qui a conduit son action, ce qui l’a toujours animé, dans une constante fidélité à des choix totalement assumés. Toute une éthique définie par ces deux termes : engagement et liberté. Je crois qu’il aimerait que nous gardions, en souvenir de lui, ses propres mots : « Homme engagé et libre, il a été un militant politique, syndical, culturel et social. » « Roses rouges uniquement. »

Un dernier adieu.