Sophie Taeuber-Arp, Equilibrium, 1934, huile sur toile, 99,8 × 73,3 cm, Bâle, Kunstmuseum. © akg image / De Agostini Picture Library

Les élus à la culture jouent un rôle essentiel dans les politiques culturelles et ce n’est pas nouveau. Au niveau communal, ces acteurs politiques s’organisent en fédération dès 1960 alors que le ministère des Affaires culturelles vient à peine d’être créé. Leurs compétences n’ont fait que s’étendre depuis lors, à la faveur des réformes de décentralisation qui ont aussi invité dans la partie les départements et les régions. Pourtant, aucune recherche approfondie ne s’est encore penchée sur ces figures clés de l’action publique. L’enquête Parcours et défis des élu·e·s à la culture aujourd’hui, sous la direction de J.-P. Saez et E. Wallon, avec les contributions de Vincent Rouillon et Mathias Valex, Les éditions OPC, Observatoire des politiques culturelles, Grenoble, septembre 2022. Enquête menée par questionnaires et entretiens approfondis auprès de 37 élus de communes, communautés de communes et d’agglomération, métropoles, départements et régions de métropole et d’outremer, de 2019 à 2021. que nous avons menée propose de combler enfin ce manque.

Le déficit de connaissance sur les élus – y compris parmi les acteurs culturels eux-mêmes – mérite d’autant plus d’être questionné que leur place et leur fonction dans le système des politiques publiques ont profondément évolué au cours des quatre dernières décennies. Outre les effets de la décentralisation, suscitant l’émergence de nouvelles logiques de gouvernance à l’échelle locale, et ceux de la professionnalisation du secteur culturel stimulée par l’accroissement des subventions, les valeurs qui inspirent l’intervention des collectivités ont été bousculées par l’accélération des mutations qui traversent les différents champs artistiques et culturels. Elles ont également pâti des transformations qui affectent la société : crise de la démocratie représentative, transitions numérique et écologique, réagencement des rapports entre le local et le mondial.

Davantage de femmes, certes, mais…

Le mandat des affaires culturelles tend à se décliner davantage au féminin qu’au masculin. Est-ce le signe d’une moindre présence des femmes dans les délégations décisives, celles où s’exerce le contrôle politique et budgétaire ? Une autre étude, conduite en 2020 par l’agence L’A (Nouvelle-Aquitaine) auprès des villes et agglomérations de la région, permet d’estimer le degré de féminisation du mandat à la culture Étude menée sur les 98 communes de plus de 7 500 habitants et 155 intercommunalités de la région : Les élu·e·s délégué·e·s à la culture dans les communes et intercommunalités de Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux, Les études de L’A., avril 2021, p. 4 : http://www.la-nouvelleaquitaine.fr/elu-e-s-culture. Pour l’ensemble du bloc communal – municipalités et établissements publics intercommunaux –, la parité semble presque parfaite : 48 % des mandats d’adjoints et de vice-présidents à la culture sont exercés par des femmes. Cependant, cet équilibre découle d’une autre réalité : les adjoints communautaires sont essentiellement des maires, fonction détenue à plus de 80 % par des hommes au niveau national. Dans les communes, ce mandat s’avère majoritairement féminin, avec 61 % d’adjointes contre seulement 39 % de vice-présidentes.

Plus qu’un mandat, un choix de vie

Assumer une mission d’élu implique un haut degré d’engagement et de renoncement. La décision de se lancer dans un mandat culturel relève d’un choix mûrement réfléchi chez la plupart des acteurs interrogés. En effet, leur vie familiale et professionnelle en est profondément affectée, notamment par les contraintes de disponibilité et d’« extrême présence » qu’imposent les événements culturels du territoire organisés en soirée ou pendant les week-ends.

Les dispositions à l’origine de cet engagement sont variées. Les uns peuvent faire valoir un passé associatif, notamment dans le champ de l’éducation populaire. D’autres mettent en avant leur penchant personnel pour les arts et la culture. Certaines motivations encore émanent d’un métier culturel dont les compétences peuvent être mises au service de leur mission. La fonction compte aussi quelques artistes, parfois en activité. Dans ces deux derniers cas, le plus difficile pour ces édiles est de réussir à mettre leur subjectivité esthétique à distance des décisions politiques ou de ne pas faire appel à leurs propres réflexes professionnels. Plus généralement, la subtilité de la tâche exige de ne pas confondre le rôle d’élu avec celui de fonctionnaires ou de spécialistes associés à l’action.

Le grand écart : figure imposée de l’élu à la culture

Avec la taille des collectivités augmente également le degré de complexité et de technicité de l’administration culturelle. Les décisions appellent des qualifications touchant au droit des marchés, à l’urbanisme, à la propriété intellectuelle, à la sécurité des biens et des personnes, etc. Les élus doivent estimer s’ils disposent de ces capacités en interne ou s’il faut aller les chercher à l’extérieur.

L’étendue du domaine à couvrir accroît la difficulté : les enjeux et les méthodes varient – de même que les dispositifs et les interlocuteurs – dans les secteurs des bibliothèques, des monuments historiques, des musées, des arts visuels, de la musique et de l’opéra, du spectacle vivant, du cinéma, de la culture scientifique et technique, etc. Dans chacun de ces mondes, il faut ménager de périlleux équilibres – à la limite du grand écart – entre connaisseurs et non-initiés, création et transmission, tradition et innovation, histoire locale et aspiration à l’universel, langues régionales et formes nouvelles, tout en faisant place aux préoccupations transverses pour nouer des liens avec les milieux de l’enseignement, de l’action sanitaire et sociale, de l’urbanisme et du logement, du tourisme et du développement économique… Face à la difficulté de la tâche, certains élus requièrent des compléments d’information d’ordre technique, administratif, budgétaire, voire en ressources humaines. Plutôt que de les obtenir dans le cadre de formations didactiques, ils privilégient les échanges d’expériences avec d’autres élus qui leur apportent des réponses mais aussi une vision de leur action sous un angle différent.

Quel rôle est assigné à l’élu à la culture dans le système de pouvoir local ? Comment s’exercent ses missions dans un environnement complexe de « compétences partagées » ? Réponse dans l’épisode 2.
Pour consulter l’enquête, c’est par ici.