Studio de répétition, batterie.
© Trempo

Trempolino est une structure associative culturelle, fondée en 1990, au début du premier mandat de Jean-Marc Ayrault. Elle a été dirigée pendant plus de vingt ans par Vincent Priou qui, dans les années 1980, avait débuté comme animateur socioculturel à la maison de quartier de Doulon, à l’est de Nantes, où il coordonnait notamment le festival Plein Watt et accompagnait les débuts de l’effervescence musicale nantaise. Trempolino s’installe alors à Chantenay, à l’ouest de Nantes, boulevard de l’Égalité, non loin du nouveau tram, dans une ancienne école primaire, investissant les locaux et la cour. Comme d’autres structures soutenues par la politique culturelle conquérante de la nouvelle municipalité voulue par Ayrault, Trempolino résulte à l’origine des liens intercommunaux des communes de l’agglomération nantaise alors socialiste (Rezé, Saint-Herblain, Saint-Sébastien-sur-Loire et même Saint-Nazaire) et est porteuse d’une forte dimension symbolique. Elle est pleinement positionnée comme une structure culturelle, au-delà de l’animation, et possède un profil singulier dans le paysage national G. Guibert, « La scène musicale à Nantes, de la ville perçue à la ville vécue », dans Collectif, Nantes, la belle éveillée, Toulouse, Éditions de l’Attribut, 2010.. Elle développe, à compter de 1997, un Pôle régional avec des missions d’information et de structuration qui s’autonomisera en 2007 et tisse des partenariats avec l’enseignement supérieur pour mettre en place des formations universitaires dès la fin des années 1990. Cas unique en France, à ses débuts, la structure (qui a vu passer dans ses locaux des milliers de groupes et porteurs de projets artistiques dans le domaine de la musique) déménagera en 2011 sur l’île de Nantes. Installée dans le quartier de la Création en devenir, non loin des Machines de l’île, et dans un ancien blockhaus transformé et agrandi en hauteur sur sept étages et 2 300 m2, Trempolino sera alors associé au projet La Fabrique en compagnie de Stereolux (la nouvelle scène de musiques actuelles qui gérait auparavant l’Olympic dans le quartier Chantenay), mais aussi d’autres associations indépendantes comme Apo33 ou Mire. Rebaptisée Trempo, elle est aujourd’hui dirigée par Olivier Tura. Dans le cadre du projet de recherche Scaena et de sa focale sur Nantes, il nous a semblé pertinent de revenir sur le positionnement de la structure, son rapport à la scène nantaise et son rôle dans la dynamique culturelle.

Gérôme Guibert – Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui le projet associatif de Trempo ? Qu’est-ce qui fait son originalité ?

Olivier Tura  Trempo s’est construit autour des pratiques musicales, et plus précisément de « l’émergence artistique ». J’en ai pris la direction en 2017. La structure est, en 2023, composée de 29 salariés permanents, 24 ETP. Elle articule des dimensions locales, nationales et européennes et développe aujourd’hui trois types d’activités.

Le premier pôle d’activité, que l’on appelle « la plateforme d’accompagnement », est lié à la trajectoire d’artiste. Le projet artistique étant la raison principale pour laquelle les musiciens viennent à Trempo, on doit faire en sorte que les projets soient aboutis et rencontrent leur public (cela peut être grâce à des résidences, du soutien à la scène). On agit sur le développement de compétences, au travers de la formation, et sur la constitution d’un entourage professionnel. Par ailleurs, pour construire des trajectoires durables d’artistes, il faut aussi diversifier ses activités (par exemple, l’écriture de musiques de film ou de jeux vidéo, l’action culturelle, l’enseignement, etc.).

Le deuxième pôle est une activité de programmation dans le club, au rez-de-chaussée du bâtiment (salle de 200 places), et l’été, sur la terrasse au deuxième étage (également 200 places) qui fait de Trempo un lieu de voisinage, de découvertes et de pratiques artistiques. La programmation est centrée sur la création nantaise (associations, artistes locaux, émergents), mais aussi beaucoup sur la découverte d’artistes internationaux, de niches artistiques. Dans ce pôle, on va également retrouver l’école de musique, qui est une activité historique de Trempo. On doit y ajouter les studios de répétition pour les amateurs, que l’on rencontre en général dans les lieux de musiques actuelles de type Smac, mais que ne propose pas Stereolux à Nantes… C’est donc une particularité. Et, enfin, une activité d’action culturelle qui se traduit par de la pratique amateur, notamment tournée vers des « nouvelles » esthétiques telles que le RnB, de l’éducation artistique et culturelle (avec les établissements scolaires et universitaires), et qui s’adresse aussi à nos voisins et voisines, habitants du quartier.

Le troisième pôle d’activitébaptisé « musique et transition », est récent. Il a été pensé pour l’écriture de notre projet quadriennal 2022-2025. C’est davantage un pôle de recherche, motivé par l’idée que les actions de Trempo sont aujourd’hui traversées par des questionnements sur la transition écologique – qui peuvent être problématiques dans la manière dont on conçoit les carrières d’artistes… –, sur le genre, l’esthétique, la transition urbaine. Donc, selon les financements que l’on peut trouver, y compris européens, on lance des projets autour de ces thématiques-là. C’est aussi bien de l’expérimentation que de la recherche-action.

Trempo est vraiment une spécificité de la politique culturelle locale, car il n’existe pas ailleurs de structure menant simultanément ces trois pôles d’activité. Vincent Priou, son directeur fondateur, l’avait défendu en ce sens. Trempo est un peu « hors normes », par exemple la structure n’a pas de labellisations associées aux politiques culturelles (en particulier ministérielles), et cela peut introduire de la complexité. Mais il n’empêche qu’elle a tout de même les moyens nécessaires pour travailler – ce qui n’est pas négligeable. Nous entretenons une relation durable avec nos partenaires publics. On développe de nombreux projets européens et cela me donne l’occasion de découvrir ce qui se fait ailleurs, mais je n’ai jamais rencontré de structure telle que la nôtre.

Spectateurs de dos, concert en plein air.
© Trempo / Amandine Loget

Comment tenez-vous ensemble toutes ces activités et comment parvenez-vous à les articuler ? Possédez-vous le budget nécessaire ?

O. T. – Je pense que notre cohérence tient en deux mots : émergence artistique. Elle est présente à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’émergence d’une carrière, d’une pratique, d’un courant esthétique… Un des éléments permettant cette adaptation tient aux compétences que nous avons rassemblées en interne, qui sont à la fois très spécifiques et parfois difficilement transférables. Il y a aussi une confiance qui s’est instaurée avec nos partenaires et avec les artistes. De ce fait, on est suivi sur les orientations que l’on donne.

Le budget de Trempo est de 2,5 millions d’euros environ… On est très largement soutenu par la ville de Nantes qui est notre principal financeur, mais pas par la métropole. C’est aussi un élément important. Ensuite on bénéficie de subventions de fonctionnement, notamment de la région. Trempo a également augmenté et diversifié ses ressources propres, puisque cela représente 40 % de son budget. 

Avec le quartier de la Création, à la fin des années 1990, il était assez novateur (au moins en France) de rassembler un lieu de type Smac, L’Olympic (une délégation de service public gérée par l’association Songo, qui deviendra Stereolux), un lieu d’accompagnement des pratiques (Trempolino), des associations émergentes, à la fois indépendantes et reliées par un projet commun (La Fabrique) et, à proximité, d’autres structures culturelles et artistiques (privées ou associatives), notamment au Hangar à Bananes, ou des établissements d’enseignement supérieur.

O. T. – Quand je suis arrivé comme salarié, en tant qu’administrateur, fin 2009, les choses étaient déjà bien engagées… Je pense que la vitalité artistique nantaise s’est créée et développée parce qu’il y a eu ce regroupement sur l’île de Nantes, mais aussi contre lui – même si je caricature peut-être un peu…

Du point de vue des aspects bénéfiques, force est de constater que beaucoup de musiciens viennent travailler à Trempo en raison des espaces proposés (c’est devenu central) et des tarifs relativement accessibles… À mon sens, c’est exactement la même chose pour Stereolux. À l’époque, nous avons été capables de sortir de nos zones habituelles pour pouvoir bénéficier de ce qui se créait sur l’île, notamment des partenariats avec l’enseignement supérieur, mais aussi entre nos deux structures autour des questions des industries culturelles et créatives. Je pense qu’on avait le savoir-faire nécessaire pour s’insérer dans ces différents réseaux – qui ne fonctionnent pas de manière similaire –, et pouvoir en faire bénéficier nos usagers et usagères.

À l’inverse, l’arrivée sur l’île de Nantes a aussi, pour certains, joué un peu un rôle de repoussoir. Ils sont allés créer ailleurs, dans d’autres lieux, d’autres contextes, et cela a contribué à instaurer une dynamique alternative… Mais j’ai l’impression qu’on a tout de même réussi aujourd’hui à renouer des liens avec ceux qui ne cautionnaient pas la politique locale, en particulier la focale sur le quartier de la Création, ou qui ne se retrouvaient pas initialement dans le projet de la Fabrique. C’est comme s’il y avait eu un moment d’opposition et qu’à présent on est en train de passer à autre chose.

La dynamique des scènes culturelles connaît souvent une phase de stagnation liée à la gentrification. Ressentez-vous cet effet, même si vous êtes tout de même un peu éloigné du centre-ville historique ? 

O. T. – La gentrification a effectivement un impact… Nous sommes dans une phase critique qui ne concerne pas seulement Trempo, mais tout le quartier. Quand on est arrivé ici, il y a dix ans, il n’y avait pas d’habitations, alors qu’aujourd’hui les espaces résidentiels se multiplient. On travaille d’ailleurs cette question avec la Samoa, la métropole, la ville de Nantes, Stereolux, les Machines, le Voyage à Nantes, Jardin C… Nous essayons de voir ensemble comment gérer plus particulièrement les évènements de plein air qui commencent à susciter des protestations à cause des habitations nouvelles. Mais plus largement, à Nantes, la croissance de la population, associée à son image de « ville où il fait bon vivre », génère des effets de gentrification dans la majeure partie de la ville. C’est aussi pour cela que les structures culturelles doivent tenir compte des dimensions économiques et sociales dans leurs actions, comme nous tentons de le faire.

Tu soulignes le fait que Trempo articule niveaux local (notamment la dynamique de quartier mais aussi de la ville), national et européen dans ses périmètres. Cela veut-il dire que les dimensions intercommunales, mais aussi régionales ne sont plus des périmètres d’actions significatifs pour la structure ?

O. T. – Au départ, Trempolino avait un financement intercommunal, mais progressivement les villes alentour ont développé leurs propres équipements et la structure est devenue spécifiquement nantaise. De la même manière, dans les années 1990, Trempolino faisait beaucoup d’animation de réseau, cherchant à mettre en lien les acteurs aux niveaux locaux et régionaux. Quand j’ai pris la direction en 2017, j’ai décidé d’arrêter ce fonctionnement qui, selon moi, était trop souvent conçu de manière descendante… Il me semble que la notion d’« animation de réseau » (métropolitain ou régional) n’a pas plus beaucoup de sens aujourd’hui, que ce n’est plus adapté aux aux usages. En 2020, j’ai donc souhaité que l’on se concentre sur nos aptitudes et sur certains champs d’action en particulier. En matière de formation, n’oublions pas que Trempo a été un moteur dans la reconnaissance de nouvelles formes d’enseignement de la musique dans les années 1990… On avait notamment été partie prenante d’un réseau (toujours existant), le collectif RPM, chargé de la pédagogie musicale, qui a apporté beaucoup de ressources et de compétences au niveau national.

Trempo, bâtiment extérieur.
© Jeremy Jehanin

S’agissant du registre artistique, le périmètre d’action des « musiques actuelles » sur lequel s’est construit Trempo est-il toujours celui qui vous définit ?

O. T. – Concernant les disciplines artistiques et les esthétiques, tout en restant très impliqué dans les genres et les réseaux associés aux musiques actuelles, on essaie dorénavant de s’intéresser à d’autres univers. En gardant à l’esprit de rester toujours à l’aune de la musique ou du son. Cela se reflète dans notre manière de communiquer sur nos projets : on ne parle quasiment plus de « musiques actuelles », mais d’émergence musicale. On a fait le choix aussi de s’intéresser aux « arts sonores », aux installations, car de plus en plus d’artistes que l’on accompagne ou qui viennent à Trempo ont des formations aux Beaux-Arts, ou des cursus « créatifs ».

Avez-vous des témoignages sur la manière dont les gens vivent les moments qu’ils passent à Trempo ou à proximité, ou encore sur leurs perceptions architecturales… ?

O. T. – On a des retours extrêmement positifs sur l’ambiance générale à Trempo : le fait de se retrouver, d’échanger, de se poser pour un café tout en pouvant discuter avec telle personne, et puis prendre un studio, assister à un débat… En revanche, parmi les points moins positifs, est relevé l’aspect très vertical du bâtiment, avec tous ses étages. Celui qui passe par l’entrée parking, prend directement l’ascenseur avec son badge, va dans son studio puis repart, peut aussi venir à Trempo et ne croiser personne. Il faut garder à l’esprit que nous faisions peu de concerts il y a encore cinq ou six ans, alors qu’aujourd’hui nous en proposons une à deux fois par semaine. Cela implique des balances, des résidences, de fermer le bar en journée (qui est normalement un lieu de sociabilité)…

Dans quelle mesure Trempo a-t-il un impact sur la dynamique de la scène musicale, en matière de mise en réseau, de sociabilités… ?

O. T. – Je peux prendre l’exemple du Printemps de Bourges. Ces dernières années, trois artistes nantais, accompagnés par Trempo, figuraient dans la programmation officielle. Cela donne donc du poids au travail que l’on mène. Il serait néanmoins très présomptueux de dire que c’est uniquement grâce à nous, parce qu’en fait ça s’auto-alimente : les projets artistiques bénéficient de l’action de Trempo, et la structure bénéficie de l’intérêt porté aux artistes qui sont passés par Trempo et de leur aura… C’est cette effervescence-là qui est forte. Il y a peut-être aussi des ponts avec Trempo qui se font plus facilement aujourd’hui que lorsque je suis arrivé, notamment des connexions avec des champs esthétiques. On travaille davantage main dans la main avec beaucoup de petites structures, qui peuvent être underground, et ce dans de nombreux domaines.

As-tu quelques éléments qui permettraient d’évaluer la manière dont Trempo est perçu au niveau national ? Les médias l’associent-ils à Nantes et à son image de ville culturelle ?

O. T. – Mes collègues présents au Printemps de Bourges, qui est un festival référent en matière d’émergence, ont constaté combien Trempo était une structure largement identifiée. Médiatiquement, nous avons eu pas mal de presse entre 2017 et 2020 (Radio France, LibérationLes InrocksTélérama…). Les médias viennent nous questionner principalement sur deux aspects : l’accompagnement des carrières d’artistes que nous menons, car au-delà du projet, nous défendons une logique de carrière sur le long terme, une dimension « insertion »… Et je pense que c’est assez spécifique. Ce sont des programmes qui durent et qui sont parfois déconnectés de l’industrie musicale. Ils sont donc complémentaires… Et puis, l’autre élément est que nous sommes à la fois ancrés dans l’hyper local, le quartier, mais aussi en Europe, et que nous réussissons à faire des ponts entre ces deux dimensions. Politiquement, on est inclus dans les récits culturels de la ville, on y est mobilisés. Trempo est perçu comme le lieu dédié aux artistes.