Les acteurs de la culture se mobilisent à différentes échelles sur la question écologique : de grands équipements ont mis en place des plans de maîtrise ou de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, les personnels et les publics sont incités à décarboner leurs modes de transport, les équipes sont sensibilisées aux enjeux environnementaux et climatiques, voire animent avec créativité des plans d’actions internes qui inscrivent le mode de gestion culturelle dans une dynamique environnementale de progrès. Les directions culturelles des collectivités territoriales ont attendu, pour nombre d’entre elles, les obligations règlementaires (en particulier le décret tertiaire Énergie : l’autre tertiaire engage sa transition. Plus d’infos sur le décret tertiaire : ici. Parmi les autres obligations règlementaires, citons le Schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables (Loi no 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’ESS), l’obligation de réemploi 20 % dans certaines familles d’achats, notamment de mobiliers (Loi no 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire) et la doctrine de réduction de 10 % des consommations d’énergie concernant les grands équipements culturels nationaux (Circulaire E. Borne du 25 juillet 2022)., entré en vigueur le 1er octobre 2019), la crise énergétique de 2022 et les semaines caniculaires estivales pour saisir l’ampleur des enjeux écologiques affectant les pratiques culturelles : vulnérabilité des modèles budgétaires par une hausse des charges, modification des usages (les musées deviennent attractifs pour leurs qualités thermiques et non plus pour leurs collections !), nouvelles attentes des publics et redimensionnement des offres artistiques.
La crise énergétique et ses impacts sur les budgets
L’enquête annuelle sur les budgets et les choix culturels des collectivités menée auprès de 179 collectivités et intercommunalités prend ainsi en compte cette évolution dans le pilotage des affaires culturelles en questionnant l’impact de la crise énergétique sur le montant des subventions versées et ses conséquences sur l’offre culturelle des territoires.
Les réponses apportées évoquent dans leur majorité l’idée d’un impact nul, sinon faible. Cette première lecture est biaisée par l’appréciation que l’on apporte à cette « faiblesse » : est-ce un impact à moins de 5 % sur les budgets culturels ? Est-ce dire que les équipements ont su rapidement animer la sobriété énergétique dans leur quotidien (quitte à imposer des fermetures temporaires pour faire face à la hausse des coûts d’énergie La maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, déclare le 31 août 2022 vouloir fermer les musées à cause de « l’explosion des prix de l’énergie ».) ? Est-ce que le budget culturel a été sanctuarisé dans le budget global de la collectivité, lourdement affecté par le surcoût énergétique À Strasbourg, l’énergie représentait 3,1 % du budget de la ville en 2021. Le chiffre devrait, en tout état de cause, dépasser 8 % en 2023. ? Il conviendra de suivre la mesure de cet impact de la crise énergétique sur les budgets avec attention à l’heure où de nouveaux modèles financiers de l’achat d’énergie émergent (Loi no 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, avec l’achat en direct d’EnR par les collectivités par exemple) et où les offres d’approvisionnement vont demander une expertise plus forte de la part des opérateurs culturels. Cette nouvelle préoccupation s’inscrit dans une dynamique dans laquelle la performance du patrimoine existant (décret tertiaire) ou à venir (nouvelles constructions, rénovations qui se répercutent sur les investissements) est en cours d’intégration dans l’administration culturelle.
L’impact sur l’offre culturelle proposée par les collectivités est quasiment nul sur la période de référence. Quatre répondants sur cinq indiquent que la crise énergétique n’a pas eu d’effet sur l’offre et, sans surprise, ce sont les collectivités les plus « locales » (communes et intercommunalités La passation de l’enquête du volet national du baromètre a été menée auprès d’un échantillon de collectivités (régions, départements, collectivités à statut particulier, communes de plus de 50 000 habitants) et d’intercommunalités comprenant une ville de plus de 50 000 habitants (métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération)., celles qui possèdent principalement le patrimoine des activités culturelles), qui évoquent à la marge une diminution de l’offre pour cette raison.
L’approfondissement du questionnaire sur le fonctionnement des équipements culturels offre quelques pistes de réflexion : 40 % des répondants indiquent une modification des usages (de leurs agents, de leurs publics ?) avec un taux légèrement supérieur pour les intercommunalités – ce qui s’entend au vu de leurs compétences d’animation de la transition énergétique via des Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et la recherche d’une administration « exemplaire ».
Cette problématique des usages oblige les agents de la culture à envisager l’animation de politiques de sobriété, c’est-à-dire de maîtrise, voire de réduction, des flux énergétiques (chauffer ou refroidir les équipements, redimensionner les dispositifs techniques ou les usages de certains matériels d’éclairages et numériques). Ces dispositifs d’animation viendront peut-être s’ajouter à la nomenclature des domaines d’intervention des collectivités avec des intitulés sectoriels de type « Écoconception », « Transition énergétique », « Décarbonation ».
À propos d’écoconditionnalité des aides financières
Le baromètre rend compte d’un autre levier sur la « transition verte » des choix culturels : l’écoconditionnalité Voir l’article de Guy Saez, « Une gouvernance par la conditionnalité. Un virage des politiques culturelles ? », L’Observatoire, no 59, avril 2023, p. 10-13.. Dans le questionnaire envoyé aux DAC, il est question de critères d’« impact écologique », de « préférence pour les fournisseurs locaux » et enfin de « mode de gouvernance » dont on constate qu’il va de pair avec une stratégie environnementale pérenne. Un tiers des répondants au sein des collectivités reconnaît l’existence du critère de l’impact écologique dans l’attribution des aides. Ce chiffre est important car, généralement, de tels critères sont le fruit d’un dialogue avec les acteurs pour leur mise en place progressive.
Le fait que les régions soient plus volontaires sur ce sujet de l’éco-conditionnalité (5 sur 8 répondantes à cette question) ne surprend guère compte tenu de l’ancienneté des aides financières régionales à destination des festivals (secteur impliqué de longue date dans la mise en œuvre de démarches environnementales). Cette légère avance des régions rend le suivi de ces clauses désormais nécessaire pour « mesurer l’engagement réel et concret des festivals vers la transition écologique et l’effet de ces critères en termes d’atténuation de l’impact environnemental et d’économies de ressources » pour reprendre les propos de la Région Occitanie installant son nouveau dispositif d’aide aux Festivals Arts de la Scène Le nouveau dispositif d’aide aux Festivals Arts de la Scène inclut ces critères d’impact écologique. Voir Règlement du dispositif d’aide.. Les critères d’impact écologique existent également dans les départements selon les répondants (19 sur 64 répondants à cette question), dans les communes (22 sur 63) et les métropoles (5 sur 15). Cette nouvelle donne dans l’attribution des aides influe sur le positionnement des affaires culturelles : sommes-nous dans l’incitation via le dialogue, l’obligation allant jusqu’à de la coercition financière ? Quels moyens internes de suivi sont mis en place pour instruire de tels attendus ? Au regard de cet enjeu, de nouvelles expertises, forcément transversales au sein des collectivités et des directions culturelles, vont donc être amenées à se développer en lien avec les services d’animation de la transition énergétique ou de la commande publique.
Enfin, la progression des coopérations territoriales des collectivités et intercommunalités est notable ; avec l’État (40 % des répondants en constatent l’accroissement) ou entre collectivités (38 %) car l’enjeu environnemental, qu’il soit celui de l’énergie, du climat ou de la ressource, oblige à œuvrer de concert et sans clivage au « verdissement » global de nos infrastructures et de nos modes de vie.
Ces premiers enseignements confirment l’émergence d’une dynamique dont il conviendra d’observer les déclinaisons opérationnelles pour les agents et acteurs culturels : collecte et analyse de données, prise en compte de nouveaux paramètres tels que la trajectoire de diminution de l’intensité énergétique des équipements, l’intensité « carbone » d’éléments composant l’offre culturelle (scénographie, fiches techniques…) ou son inscription dans les flux de l’économie circulaire (réutilisation, réemploi des flux matières dans les musées par exemple). Mais avant cela, une attention peut être portée aux méthodologies d’analyse dites de « budget vert » en cours dans certaines collectivités, à l’instar du Conseil départemental de la Mayenne dès 2020 Voir le dossier de presse relatif au budget 2022. . Il ne s’agit pas d’un budget en tant que tel, mais d’une mesure de l’impact des dépenses budgétaires au regard de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Aujourd’hui, plusieurs méthodes sont reconnues, ayant chacune recourt à des cadres de référence : objectifs de développement durable, comptabilité Carbone, ou celui de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). L’Agence France locale et l’Institut national des études territoriales (INET) ont édité, en avril 2022, un guide de mise en œuvre Le Budget vert, un outil d’analyse au service de la transition climatique ?, faisant état de plusieurs retours d’expériences (Ville de Lyon, commune de Betton en Ille-et-Vilaine).
L’usage de ces outils renforce les capacités d’analyse dans l’établissement et le suivi des budgets culturels des collectivités. Le critère de l’impact environnemental se développera ainsi dans les directions des affaires culturelles, contribuant aux efforts de sobriété énergétique et d’adaptation des territoires au changement climatique.