La disparition brutale de Geneviève Gentil (1930-2024) a suscité une large émotion chez ceux qui, du Service des études et recherches (SER) devenu Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS) au Comité d’histoire du ministère de la Culture, ont croisé son chemin et ont bénéficié de ses conseils et de son aide.
J’ai rencontré Geneviève au milieu des années 1990. Le petit groupe de chercheurs auquel j’appartenais, issu du séminaire d’histoire culturelle que dirigeaient Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli à l’Institut d’histoire du temps présent du CNRS, avait organisé à l’Institut d’études politiques de Paris, en février 1994, une journée d’études sur l’histoire des politiques culturelles des collectivités locales. À l’issue de cette journée, à laquelle elle avait assisté avec Augustin Girard, Geneviève nous proposa de publier les actes dans la toute jeune collection du Comité d’histoire du ministère de la Culture (CHMC). Une étroite collaboration de plus de vingt ans s’ensuivit. En 1996, Geneviève quittait le DEPS où elle était entrée en 1967 : une fausse « retraite » car elle allait s’engager jusqu’en 2011 dans le fonctionnement du Comité d’histoire, avec Augustin Girard (1993-2007) puis avec Maryvonne de Saint-Pulgent. Ensuite, elle resta officiellement « conseillère » de cette dernière et aidera ses successeurs au secrétariat général du CHMC.
Pendant toutes ces années, Geneviève sera la grande organisatrice des multiples actions entreprises par le CHMC. Celui-ci s’imposa comme un des lieux où se construisait et s’écrivait l’histoire des politiques et institutions culturelles. Séminaires, journées d’études et colloques, campagnes d’histoire orale, actions commémoratives, opérations de sensibilisation destinées aux agents du ministère rythmaient un calendrier d’une grande densité. Je souhaite surtout insister sur l’aide essentielle qu’elle apporta aux (jeunes) chercheurs. Geneviève permettait un luxe comme nulle part ailleurs : travailler sans se soucier des questions matérielles et financières. Sa connaissance des arcanes de l’administration centrale du ministère de la Culture et ses relations personnelles avec ceux et celles qui, depuis les années Malraux, avaient porté cette politique permettaient d’ouvrir bien des portes, d’accéder à des archives, de nouer des relations fructueuses pour la recherche. Surtout, Geneviève accordait une place essentielle à la publication des travaux ; le plus souvent publiés sous la forme de livres diffusés par La Documentation française. L’expérience du DEPS lui avait appris qu’il ne reste pas grand-chose d’un séminaire ou d’un colloque si les actes ne sont pas publiés. Ensuite, elle savait que le livre vivrait sa propre vie, circulerait au sein du ministère, serait approprié par les chercheurs et pourrait toucher un plus large public, celui des acteurs des mondes de la culture, et quelquefois bien au-delà. Deux ou trois générations de chercheurs lui doivent beaucoup.
L’Observatoire des politiques culturelles (OPC) et le Comité d’histoire du ministère de la Culture partageaient certaines valeurs et convictions : que tout ne se passe pas à Paris ; un intérêt non démenti pour la décentralisation et la déconcentration culturelle ; le dialogue entre chercheurs et acteurs des politiques culturelles ; l’écho lointain, mais toujours présent, de l’éducation populaire ; la volonté de transmettre et de partager les connaissances et les expériences. L’Observatoire, revue de l’OPC, accorda toujours une large place aux publications du Comité d’histoire. Geneviève jouait un rôle d’intermédiaire. Elle avait conservé de solides amitiés chez les « Grenoblois » : René Rizzardo bien sûr ; mais aussi Jean-Pierre Saez et Guy Saez. En 2004, René Rizzardo, membre du Comité d’histoire, ancien élu grenoblois et ancien directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, suggéra de poursuivre les travaux afin de mieux comprendre la construction historique de la coopération entre l’État et les collectivités locales. En novembre 2005, un premier séminaire se déroula sur trois demi-journées à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Cette première manifestation a été suivie par des séminaires, des journées d’étude et une campagne de recueils de témoignages oraux. La restitution de ces travaux a fait l’objet de l’ouvrage publié en 2009 (Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, 1959-2009) et d’une journée d’études au Sénat.
Par-delà l’ampleur du travail accompli, c’est la personnalité de Geneviève qui a frappé tous ceux qui ont eu la chance de collaborer avec elle. Une forme d’autorité naturelle était tempérée par une bienveillance de tous les instants ; une écoute et une générosité ; la volonté de vous aider pour que vos projets aboutissent. Geneviève a incarné une haute idée du service public de la culture ; ne ménageant ni son énergie, ni son temps ; avec humilité et modestie. Elle croyait au rôle émancipateur de la culture. Elle nous manque.