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Article paru dans L’Observatoire no 60, avril 2023

Le pass Culture a pour objectif d’accompagner l’intensification et la diversification des pratiques culturelles des jeunes de 15 à 20 ans. Le dispositif prend la forme d’une application mobile sur laquelle un crédit personnel leur permet de réserver des biens ou des événements culturels.

Politique publique à destination de la jeunesse, le pass Culture a déployé divers moyens pour prendre en compte les besoins et les attentes de ses usagers. Parmi ceux-ci figurent les enquêtes que nous menons au sein du pôle Études & Recherche Le pôle Études & Recherche a pour mission de mener des enquêtes régulières auprès des utilisateurs du dispositif. Ces enquêtes ont pour objectif de répondre aux besoins de connaissances des équipes du pass Culture et de ses partenaires (acteurs culturels, institutions publiques, enseignants, etc.). dans la continuité de l’étude Ph. Lombardo et L. Wolff, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture Études, vol. 2, no 2, 2020, p. 1-92. publiée en 2020 par le Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture. Ces observations s’intéressent aux mécanismes de choix culturels des 15-20 ans au prisme de leurs usages numériques. Elles montrent notamment la place considérable qu’y occupent les réseaux sociaux et mettent en évidence les nouvelles instances de recommandation culturelle auxquelles ils sont attentifs. Autant d’enseignements qui contribuent au développement du pass Culture et à la mise en place d’actions pour favoriser les découvertes culturelles des jeunes éligibles au dispositif.

Les comptes des artistes et des lieux culturels : premières passerelles d’information

Comment les 15-20 ans accèdent-ils à l’actualité culturelle ? Nos enquêtes révèlent que, parmi les individus ayant effectué une visite culturelle au cours de l’année 2021, 55 % ont entendu parler d’un lieu à visiter ou d’une exposition par Internet (devant la famille et les amis, respectivement évoqués par 41 % des enquêtés). L’influence d’Internet est d’autant plus forte concernant les spectacles. En effet, 71 % des utilisateurs ont pris connaissance des évènements auxquels ils ont assisté par cet intermédiaire. Pour la majorité d’entre eux, ces informations leur sont parvenues sur les réseaux sociaux par le biais de publicités (80 %) et de contenus publiés sur des comptes d’artistes et de compagnies (61 %).

L’analyse des déclarations des utilisateurs a également aidé à identifier les sources sur lesquelles ils s’appuient pour effectuer des recherches concernant l’actualité culturelle. S’ils se procurent ces informations majoritairement sur les sites internet des lieux culturels (58 %) ou des billetteries en ligne (55 %), 51 % d’entre eux déclarent se servir des réseaux sociaux pour se renseigner.

En tenant compte de ces observations, les équipes chargées de l’éditorialisation des contenus du pass Culture ont fait le choix de s’associer à des artistes et à des lieux culturels afin de coconstruire des sélections d’offres à destination des utilisateurs de l’application. À ce titre, la page d’accueil du pass Culture propose des « playlists d’offres » réalisées en collaboration avec des partenaires culturels. Celles-ci sont également relayées au travers de sa communication (compte « pass Culture » sur les réseaux sociaux, newsletter à destination des utilisateurs, etc.).

Les youtubeurs : vecteurs d’accessibilité et de valorisation de la pratique amateur

L’analyse développée par le DEPS du ministère de la Culture, dans son étude de 2020, souligne la singularité des jeunes générations dont les pratiques culturelles sont désormais indissociables de leurs usages numériques : « La moitié des 15-24 ans déclare ainsi quotidiennement regarder, en dehors de la télévision, des vidéos sur Internet, qu’elles soient hébergées par les réseaux sociaux ou sur une plateforme de diffusion Ibid.. » Ces constats sont confirmés par les enquêtes du pass Culture. En effet, la grande majorité des utilisateurs interrogés regardent des contenus audiovisuels sur des plateformes de streaming vidéo, telles YouTube ou Twitch (88 %), et sur des plateformes de streaming par abonnement (77 %).

Lorsque l’on interroge les utilisateurs sur ce qui motive le choix des chaînes qu’ils consultent (YouTube ou Twitch), le « capital sympathie » des youtubeurs semble être un élément déterminant : 76 % disent suivre les contenus d’une ou plusieurs chaînes parce qu’ils « aiment bien » le youtubeur qui les incarne. Néanmoins, les enquêtés indiquent également que les sujets traités par les youtubeurs (67 %) et leur capacité à transmettre un savoir, à leur « apprendre des choses » (61 %) confortent leur choix de regarder une chaîne plutôt qu’une autre.

Parce que les youtubeurs leur ressemblent, les individus de 15 à 20 ans apprécient les contenus diffusés sur les plateformes de streaming vidéo et l’authenticité qui s’en dégage : « Je préfère les vidéos sur Internet pour le naturel des youtubeurs Extrait d’une enquête par questionnaire numérique menée auprès des utilisateurs du pass Culture, juillet 2020.. » De fait, des activités ou des thèmes inconnus leur paraissent plus accessibles lorsqu’ils sont portés par des youtubeurs et la parole de l’amateur.

Aussi est-ce en tenant compte du rôle et de la posture des youtubeurs que le pass Culture a créé le programme Ambassadeurs afin de donner l’opportunité à des publics amateurs d’effectuer des recommandations. Il regroupe des jeunes particulièrement attachés au dispositif et à la promotion de la culture qui s’en font le relais auprès de leurs pairs sur les réseaux sociaux, dans leurs universités, dans leurs lycées. Ils sont amenés à interviewer des artistes, à modérer des rencontres et des conférences. Ils élaborent régulièrement des sélections d’œuvres et d’offres culturelles. Des sessions « Book Club » enregistrées en bibliothèques avec des ambassadeurs sont également retransmises sur la chaîne YouTube du pass Culture.

Les plateformes de vidéos : leviers de découvertes et d’initiations à de nouvelles pratiques

82 % des utilisateurs interrogés ont indiqué avoir commencé à s’intéresser à un sujet ou un thème après avoir visionné des contenus sur Internet. Parmi ces sujets, nous retrouvons les sciences, les grandes causes sociétales et l’art. Parallèlement, 51 % des enquêtés déclarent que les contenus visionnés sur des plateformes vidéo leur ont donné envie de débuter de nouvelles pratiques (activités manuelles, sport, pratiques artistiques ou encore montages vidéo). La rencontre avec les œuvres littéraires semble également s’opérer au travers des plateformes de streaming par abonnement : 46 % des utilisateurs qui ont réservé un manga sur le pass Culture ont découvert celui-ci en visionnant sa version « animée ».

Ces déclarations offrent un aperçu de la force de médiation des plateformes vidéo. D’une part, l’adhésion des jeunes aux youtubeurs qu’ils apprécient les rend plus enclins à s’intéresser à des sujets ou des thèmes jusqu’alors inconnus ou pour lesquels ils possédaient d’éventuels aprioris. D’autre part, les plateformes de streaming incitent les individus à interagir activement avec les contenus, à mettre leurs apprentissages en action, notamment en créant leur propre chaîne YouTube. L’usage de ces plateformes encourage alors l’approfondissement de nouvelles pratiques.

Des recommandations culturelles implicites de pair à pair via les réseaux sociaux

Dans le cadre d’une enquête portant sur la lecture de mangas, 40 % des utilisateurs interrogés ont indiqué avoir réservé un manga avec le pass Culture à la suite du conseil d’un proche. Influence historique, la recommandation des pairs revêt des formes inédites avec les interactions qui prennent place sur les réseaux sociaux. 35 % des utilisateurs interrogés ont découvert un manga par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Parmi eux, 12 % ont rencontré ces œuvres par le biais des publications d’un proche.

Si les contenus culturels sur les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement publiés avec l’intention d’émettre une recommandation, leur évocation intervient comme une suggestion implicite auprès des individus qui y sont exposés : la diffusion de l’œuvre supposant l’adhésion de l’émetteur à celle-ci.

Ainsi, l’influence des pairs est-elle présente tant dans les interactions qui comportent des intentions « actives » de recommandation que dans les suggestions « passives » émises au travers d’une mise en scène de soi sur les réseaux sociaux : utilisation d’une musique dans une publication éphémère (story), diffusion d’une photo publiée par un compte d’artiste, partage d’un livre ou d’un instrument acheté avec le pass Culture, etc.

Repenser les contours de ce qui « fait culture »

Les enquêtes menées auprès des utilisateurs ont révélé la façon dont les youtubeurs, les réseaux sociaux et, plus généralement, le numérique réinventent le rapport que les jeunes générations entretiennent avec les œuvres culturelles et les médias.

C’est pourquoi, très rapidement, le pass Culture a fait le choix de valoriser les références culturelles et les usages numériques des individus de 15 à 20 ans au sein de ses communications et de ses recommandations. En légitimant l’ensemble de leurs pratiques, le dispositif a construit avec les utilisateurs un lien de confiance essentiel pour assurer la crédibilité de ses recommandations et susciter les découvertes culturelles. Les effets de cette approche commencent à voir le jour : si, dans un premier temps, les jeunes se servent de leur crédit pour intensifier leur rapport à des pratiques qu’ils investissaient déjà, ils s’orientent progressivement vers des offres de sorties culturelles, des activités vers lesquelles ils ne seraient pas allés spontanément. Leurs pratiques culturelles se transforment donc au cours de leur expérience avec le dispositif.

L’ensemble de ces constats nous invitent à repenser les contours de ce qui « fait culture » et notamment à considérer les usages numériques et les phénomènes d’influence qui y prennent place comme des inspirations, voire des leviers d’action, pour accompagner l’orientation des jeunes générations vers de nouvelles pratiques.

Le pass Culture en chiffres :

(Chiffres arrêtés au 09/11/2022)

  • 2,5 millions d’utilisateurs
  • 76 % ont effectué au moins une réservation sur l’application
  • Plus de 65 millions d’offres culturelles proposées sur l’application par 18 700 lieux culturels