Mise en scène d'un bateau avec des flammes
Les Allumées, Tango et Cargo 92, Le Melquiades. © Ville de Nantes

L’exemple de la ville de Nantes nous éclaire sur la façon dont la scénographie s’est développée dans l’espace urbain, en mettant sur le devant de la scène des pratiques artistiques issues des arts de la rue pour imaginer, façonner et construire la ville de demain. La scénographie est une discipline méconnue qui bénéficie d’un regain d’intérêt  L. Boucris, M. Freydefont, V. Lemaire, R. Sarti, Qu’est-ce que la scénographie ? vol. 2, Pratiques et enseignements. 2012. . C’est un terme en vogue dont les architectes, urbanistes, designers et artistes se saisissent pour parler d’installations poétiques et sensibles dans la ville.

Tirant ses origines du théâtre, la scénographie, dans les années 1970-1980, a suivi le mouvement hors les murs du théâtre, accompagnant les aventures artistiques des compagnies qui souhaitaient faire de l’espace de la rue un lieu de représentation. Ces dispositifs scénographiques constituaient le décor de l’action théâtrale et le rapport entre la scène et le public-population  A. Gonon, In vivo : les figures du spectateur des arts de la rue, Montpellier, L’Entretemps Éditions, 2011. . Aujourd’hui, la scénographie urbaine désigne à la fois des aménagements pérennes et éphémères renouvelant les formes de théâtralité présentes dans la ville. Il s’agit, comme l’a défini Jean Hermann, de créer une « dramaturgie de l’espace  J. Hermann, « Pour un espace-scénario », Actualité de la scénographie, no 8, décembre 1978.  ». Nantes est un terrain d’investigation privilégié car, depuis l’arrivée des artistes de rue, il y a trente ans, ses rues, ses places et ses quartiers sont devenus des lieux supports à l’élaboration de fictions urbaines et de formes d’expressions fugaces en lien direct avec la population. Animés par la volonté de faire de la ville une agglomération dynamique et attractive, dès les années 1990, les politiques ont choisi d’actionner le levier culturel pour réveiller la belle endormie  M. Grandet, Nantes, la Belle éveillée. Le pari de la culture, Toulouse, Éditions de L’Attribut, 2010. . L’agglomération s’est progressivement structurée pour rendre possible un ensemble d’initiatives artistiques et culturelles très diversifiées sur son territoire, révélant une corrélation entre pratiques artistiques et aménagement urbain à la faveur de nouvelles formes de vie urbaine.

Les artistes dans la rue, un laboratoire à ciel ouvert

À la suite de la fermeture des chantiers navals en 1987, la ville de Nantes a fait le pari audacieux de laisser une place importante à la culture. Jean-Marc Ayrault, maire socialiste élu en 1989, choisit d’accompagner les initiatives d’artistes qui investissent alors ce que l’on n’appelait pas encore l’Île de Nantes comme lieu d’expérimentations artistiques en créant, dès son arrivée, un service dédié au développement culturel. La même année, la troupe Royal de Luxe est accueillie à Nantes. Avec les aventures de La Véritable Histoire de France, celle des Embouteillages, ou encore de Cargo 92, la ville est révélée aux habitants sous un nouveau jour devenant une scène à 360°  Selon l’expression d’un des pionniers des arts de la rue, Michel Crespin, metteur en scène et scénographe urbain. . En 1994, lorsque la saga débute en suivant les pas du Géant tombé du ciel  Le géant tombé du ciel est un spectacle mis en scène par Jean-Luc Courcoult, directeur de la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe et qui a été présenté à Nantes en 1994. , les rues sont investies par la population qui arpente la ville d’un œil neuf. Les artistes ont été des défricheurs de l’espace urbain. Par leur vision sensible et poétique, ils ont fait de ces endroits des lieux de récits supports à l’imaginaire collectif. Dans le même temps, l’équipe de Jean Blaise, avec le Centre de recherche pour le développement culturel (CRDC)  Le CRDC, Centre de recherche pour le développement culturel a été créé en 1984 et dirigé par Jean Blaise jusqu’en 1999, date de création de la scène nationale Le Lieu Unique. , monte le festival Les Allumées qui offre la possibilité de découvrir la ville autrement et de capter un imaginaire exotique autour de spectacles venus d’ailleurs. À cette époque, il y avait la volonté de proposer un temps festif et engagé, une sorte d’« action culturelle immédiate » pour dépasser le traumatisme de la fermeture des chantiers navals.

Très vite, au sein des services de la ville, il y a une prise de relais pour accompagner ces grandes manifestations culturelles. Cargo 92 a été l’une des premières occasions pour les agents des services municipaux de travailler aux côtés des compagnies Royal de Luxe, Mano Negra, Philippe Découflé et Philippe Genty. Le chantier fait alors partie de leur quotidien et les menuisiers, serruriers et autres agents deviennent les « colporteurs » d’une aventure humaine et d’un récit artistique. C’est le début de régulières coopérations qui transformeront les pratiques des institutions. C’est aussi l’année du drame de Furiani  La catastrophe de Furiani est l’effondrement d’une tribune du stade Armand-Cesari qui s’est déroulée le 5 mai 1992 à Furiani lors de la demi-finale de la coupe de France de football. , qui fait prendre conscience, à l’échelle nationale, des enjeux de sécurité dans la tenue d’évènements sportifs et culturels. Arrive, en 1997, un responsable de la régie technique à la direction du développement culturel. C’est un « régisseur de ville » qui– comme au théâtre – est chargé de la mise en place des conditions techniques et sécuritaires nécessaires à la conduite d’un évènement en espace public. En appui aux manifestations, ce service coordonne différents aspects logistiques des scènes urbaines. Encore aujourd’hui, l’équipe de trois personnes centralise les demandes de manifestations et tient le rôle de facilitateur, auprès des acteurs de projets, pour continuer de faire des espaces publics des lieux d’expérimentations et de représentations éphémères.

Aujourd’hui, la scénographie urbaine désigne des aménagements pérennes et éphémères renouvelant les formes de théâtralité présentes dans la ville.

À la suite de cette première phase festive des années 1990-2000, liée au développement de la vie événementielle, est venue une phase de pérennisation et d’institutionnalisation d’un certain nombre d’initiatives. Dans un contexte de concurrence interurbaine de plus en plus forte, et poussée par le besoin d’être attractive, Nantes devient, ce que nomme Philippe Chaudoir, « une ville événementielle ». Des stratégies de développement se mettent en place autour d’une spécificité culturelle à la nantaise.

Des enfants jouent et sautent dans le Parc des chantiers à Nantes.
Detroit architectes, « On va marcher sur la lune », Parc des chantiers, Nantes, dans le cadre du Voyage a Nantes 2015. © Franck Tomps / LVAN

Une ville créative, favorisant les pratiques artistiques dans l’espace urbain

Dans les années 2000, les élus, conscients du potentiel économique de la culture, ont cherché des moyens pour accompagner et soutenir ce foisonnement créatif. Progressivement, les projets artistiques éphémères soutenus ont évolué – autour d’une volonté de fabrique de lien social – et se sont inscrits dans des temporalités plus longues. La réflexion sur l’accompagnement d’une dynamique culturelle est venue croiser les réflexions sur le projet urbain de l’Île de Nantes, trouvant les moyens d’une revitalisation du site des anciens chantiers navals situés sur la pointe ouest de l’île.

Des initiatives portées par des artistes pour pérenniser leurs actions sur le territoire émergent. En 1999, Pierre Orefice fonde Manaus  Manaus est une compagnie de théâtre de rue créée en 1999 et dirigée par P. Orefice. Elle est actuellement en sommeil. , et François Delarozière crée la compagnie La Machine  La Machine est une compagnie de théâtre de rue créée en 1999 et dirigée par F. Delarozière, qui conduit des projets aussi bien dans le domaine de l’aménagement urbain que celui du spectacle de rue. . Ensemble, ils ont l’idée folle  Ici, il est fait référence à la campagne publicitaire mise en place par la ville de Nantes en 2007 intitulée Les Fous de Nantes qui a mis en scène quinze ambassadeurs nantais pour incarner le territoire, dont François Delarozière et Pierre Orefice. d’un Grand Éléphant qui se baladerait sur l’île. En 2000, est nommé l’urbaniste Alexandre Chemetoff pour débuter la phase 1 du projet urbain autour du Plan-guide  A. Chemetoff, Le plan-guide de l’île de Nantes, agence Alexandre Chemetoff & associés, Paris, Archibooks + Sautereau, 2010. . Cet aménagement de grande envergure est l’occasion, pour les politiques, de pérenniser une approche artistique avec l’idée de créer ce qu’on appellera plus tard le « quartier de la Création ». Ce lieu en reconversion est empreint d’un imaginaire, le site des chantiers se transforme et Alexandre Chemetoff redéfinit les espaces. Un Jardin des voyages apparaît dans les anciennes cales des chantiers, et toute la sémantique de ces grands espaces évolue. Les perspectives urbaines sont retravaillées et donnent à voir la ville aux habitants selon des points de vue scénographiés. Aussi, l’urbaniste exprime-t-il le souhait de faire revivre un atelier sur l’ancienne zone dédiée au port. Pour aborder ces transformations, l’équipe chargée du projet au sein de la maîtrise d’ouvrage, dirigée par Laurent Théry, s’associe aux acteurs culturels de la ville pour programmer et expérimenter des actions artistiques éphémères sur ce territoire.

En 2003, l’exposition Le Grand Répertoire, située dans les anciennes Halles Alstom, remporte un franc succès, c’est l’occasion pour les Nantais de renouer avec ce patrimoine. Puis viendra une série de moments marquants qui formeront peu à peu une nouvelle identité de la ville autour des dimensions créatives et culturelles. En 2004, l’exposition internationale Les Floralies prend ses quartiers dans le centre-ville, s’extirpant en partie du parc des expositions. Le service des espaces verts et de l’environnement (SEVE) sollicite Manaus qui conçoit Les Jardins à Quai ainsi que La Machine qui imagine Le Bateau-Lavoir. Ces installations artistiques sont contextualisées et forment le récit entre le passé portuaire de la ville et le présent. Travaillant en collaboration avec des artistes, le SEVE acquiert des compétences dans la capacité à raconter des histoires. C’est aussi l’occasion, pour son directeur, de mettre en place « un management par projet » et ainsi d’impliquer ses agents dans des propositions artistiques autour du végétal. La même année, en 2004, la municipalité vote la reconversion des Nefs Dubigeon en un équipement touristique et culturel : Les Machines de l’Île.

L’expérience avec les compagnies de théâtre de rue a façonné l’état d’esprit des acteurs nantais qui ont maintenant une exigence importante. Du côté des opérateurs urbains, l’intérêt est perçu de travailler avec les artistes, de les mettre dans la boucle du projet urbain pour « animer le territoire », et participer à la construction de fictions urbaines comme l’envisage le cluster « quartier de la Création ». Du côté des artistes, ce projet, inauguré en 2007, a permis l’exportation, par la compagnie La Machine, d’un savoir-faire issu du spectacle vivant dans les domaines de l’aménagement urbain. C’est une culture de l’éphémère et une capacité à raconter des histoires à l’échelle d’une ville qu’ils font perdurer dans le développement d’autres projets comme celui du réaménagement de la place Napoléon à La-Roche-sur-Yon. Un double mouvement s’opère. D’un côté, les opérateurs urbains ressentent le besoin de s’associer à des artistes pour intervenir dans l’espace public à la recherche du « génie urbain  M. Le Floc’h (dir.), Plan-guide « Arts et aménagement des territoires », étude nationale pour le ministère de la Culture et de la Communication, POLAU, mai 2015.  » et, de l’autre, des artistes se structurent pour avoir la capacité de répondre à des commandes et intervenir au sein des projets urbains. 2007 est une année charnière, c’est aussi la première édition de la Biennale Estuaire pilotée par le Lieu Unique, alors dirigé par Jean Blaise, qui demande à des artistes de renommée internationale de créer des œuvres d’art in situ pour investir le territoire ligérien. Pour assurer la conduite du projet, le Lieu Unique monte une équipe dédiée qui assure le suivi de conception et de réalisation des œuvres durant les trois éditions (2007-2009-2012). Ces différentes expériences, qui font évoluer les rôles de chacun, amorcent la préfiguration d’une structure hydride à venir : Le Voyage à Nantes.

Une vie événementielle qui s’accroît, des pratiques éphémères qui se pérennisent

Depuis une dizaine d’années, l’offre d’évènements culturels et artistiques proposée sur le territoire nantais a évolué. Si les parades de Royal de Luxe reviennent toujours investir la ville tous les trois ans environ, il y a eu une institutionnalisation de la présence artistique. De nouvelles entités apparaissent, comme Les Machines de l’Île, qui font perdurer un pan de l’histoire lié aux aventures théâtrales urbaines. C’est aussi la structuration d’un certain nombre d’associations à l’origine d’évènements plus anciens comme l’association Aux heures d’été qui a la charge du festival des Rendez-vous de l’Erdre, ou encore le positionnement du cluster « quartier de la Création » sur des évènements du type Les Ateliers de la création. Enfin, dans le même temps, certains services municipaux, qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la conduite d’évènements, deviennent à leur tour programmateurs d’actions artistiques éphémères dans l’espace public. C’est le cas du SEVE, ainsi que des acteurs culturels comme Le Grand T qui n’hésitent pas à s’exporter hors des murs de leurs théâtres pour s’impliquer dans la vie urbaine. Ces acteurs ont la volonté commune d’être présents sur la « scène nantaise ». Cette multiplicité de protagonistes et de projets présents en extérieur, selon des temporalités et des objectifs variés, complexifie la gestion de la vie événementielle nantaise. Cette façon dont « l’éphémère se pérennise » est un puissant facteur de l’émergence de la scénographie dans l’espace urbain.

Le cas de Nantes est démonstratif car c’est une ville qui a su pérenniser une culture de l’éphémère pour façonner son image de ville créative et culturelle.

En effet, dans le but de faire de Nantes une « ville créative » et culturelle, l’infusion d’une vie artistique se développe beaucoup à travers des évènements. Reliée aux arts de la rue, au tourisme culturel et à une politique d’animation, la gestion des projets éphémères devient un enjeu. Ces dernières années, on assiste à une multiplication de temporalités. Aux activités cycliques annuelles ou de courte durée, s’ajoute une autre forme de temporalité : la temporalité que l’on nommera « d’usage ». Ce sont un ensemble de propositions artistiques initialement prévues sur des durées courtes qui finalement perdurent car elles répondent à un usage spécifique. C’est le cas des stations gourmandes qui devaient durer le temps de l’évènement Nantes European Green Capital en 2013 et qui, pour certaines d’entre elles, font encore partie du paysage nantais. Piloter ces actions convoque une compétence scénographique pour prendre en charge la dimension spatio-temporelle. La scénographie n’est plus uniquement liée à la conception d’un espace de représentation – un décor de spectacle de rue – mais s’inscrit plus largement dans les processus de conception de l’urbain. En effet, cette maîtrise simultanée des temporalités et de la spatialité est l’une des compétences inhérentes au scénographe. La scénographie se déplace peu à peu à la croisée des rapports entre art, ville et environnement. Il s’agit de traiter spatialement et temporellement des espaces qui se chevauchent. L’un étant la ville, l’autre le lieu de l’action artistique, apparaît le besoin de former des éléments connecteurs qui assurent une porosité avec le flux urbain quotidien. C’est précisément pour cela que la fonction de scénographie urbaine s’exporte dans des processus de création plus diffus. La scénographie dans l’espace urbain met en jeu trois compétences principales pour jouer son rôle d’interface :

• la conduite de narrations urbaines (dramaturgie de l’espace)

• la gestion du rapport pérenne/éphémère 

• la prise en compte de la relation au public-population.

Ces différentes aptitudes sont relayées par des « facilitateurs ». Ces derniers ont, face à la multiplication des expériences, mis en place des modes de fonctionnements spécifiques pour conduire des activités artistiques produites dans l’espace public. Un système satellitaire s’est développé pour accompagner toutes les formes d’art urbain dont le vaisseau amiral est, depuis 2011, la SPL Voyage à Nantes. Fusionnant les secteurs du tourisme et de la culture, cette société a pour objectif de promouvoir la ville de Nantes par la culture. Un grand nombre de missions lui sont confiées, dont l’animation culturelle, avec la production de l’évènement Le Voyage à Nantes, l’entretien et l’exploitation du parc d’œuvres pérennes de l’Estuaire, ainsi que la gestion de sites publics comme le parc des Chantiers. Ces activités engendrent des compétences de scénographie pour la mise en relation des différentes œuvres, la gestion des temporalités et la conduite d’une narration urbaine auprès des publics. Au-delà de cette structure, il y a une interconnaissance des compétences mobilisables parmi les entités qui sont amenées à collaborer et des adaptations faites dans certains services municipaux. Par exemple, le service des espaces verts a séparé, en 2013, ses activités éphémères des autres, en créant une cellule événementielle dédiée spécifiquement aux « projets temporaires ». À la fois programmateur de manifestations comme La folie des plantes, ce service joue aussi le rôle de facilitateur lorsqu’il est question de végétal dans les actions développées en plein air. Ce « système relationnel » contribue à faire de Nantes une ville « en ordre de marche  Ce terme fait référence à la notion de « Cirque en ordre de marche », abordée lors des rencontres professionnelles sur l’itinérance artistique le 10 décembre 2014 à Nantes. Syndicat des Cirques et Compagnies de Création.  », où les facilitateurs sont habitués à être sollicités dans le cadre de collaborations. C’est une sorte d’outillage artistique renouvelé au service de projets ultra-contextualisés.

« Mètre à ruban », Lilian Bourgeat, Nantes, œuvre du parcours Estuaire Nantes <> Saint-Nazaire. © Franck Tomps / LVAN

Des rapports entre arts et ville qui se renouvellent

Le cas de Nantes est démonstratif car c’est une ville qui a su pérenniser une culture de l’éphémère pour façonner son image de ville créative et culturelle. La scénographie s’est extirpée du théâtre et se réinvente au sein de la fabrique urbaine pour accompagner un « art de vivre » à la nantaise. La plupart des projets artistiques menés ont en commun la prise en compte de l’interface avec la ville. Ce qui semble faire sens à Nantes est un « produire » in situ, travaillant le décalage et la surprise face au décorum quotidien. La création se nourrit du territoire et l’art s’immisce dans la vie des gens, se déploie dans l’architecture, dans ses transports en commun et dans les vitrines de magasins. Les Nantais sont devenus, au fil du temps, des observateurs avertis, des investigateurs de l’« art public ». De citadin, les expériences artistiques l’encouragent à s’impliquer en tant que citoyen. Les sensibilités individuelles s’entrecroisent et, par le fruit de sa propre expérience d’arpentage, il acquiert une « compétence habitante ».

C’est une nouvelle phase qui débute : l’art s’intègre à un mode de vie à la nantaise et questionne les dynamiques de renouvellement des politiques culturelles. Les projets de grande échelle laissent place à des expérimentations de proximité. Une attention particulière est portée à la « qualité des espaces urbains » et les artistes sont sollicités pour rêver et préfigurer la ville de demain dans le cadre d’une « création partagée ». La maîtrise d’ouvrage a adopté cette culture de l’éphémère et recourt à l’expérimentation artistique pour tester et préfigurer des usages dans des quartiers à transformer. Les modes de fabrication de la ville évoluent, révélant des formes innovantes d’urbanisme, à l’interface entre production artistique et aménagement urbain. La « question du sensible » revient au premier plan d’un urbanisme culturaliste  C. Sitte, D. Wieczorek, F. Choay, L’Art de bâtir les villes : l’urbanisme selon ses fondements artistiques, Paris, Seuil, 1996. .

Aujourd’hui, dans des « smart cities » de plus en plus connectées, les problématiques soulevées interrogent la capacité des acteurs de la fabrique urbaine à concevoir des lieux à vivre, des lieux support à l’imagination de ses usagers pour qu’ils s’approprient les lieux et deviennent les ambassadeurs du récit urbain dans lequel ils évoluent, sans être exclus. Ainsi la rue n’est-elle pas un terrain conquis, c’est un espace à partager où la scénographie révèle le vivant, elle génère une poésie des lieux. Se plaçant à la frontière entre réel et imaginaire, la scénographie use de savoir-faire provenant du théâtre pour explorer le domaine du sensible, et faire naître des émotions. Scénographier la ville devient l’occasion pour les artistes d’y pérenniser une forme d’expérimentation artistique à l’interface entre art, politique urbaine et démocratie culturelle  Sur cette question, se référer aux travaux d’Élise Macaire. L’Architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques : recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, Jodelle Zetlaoui-Léger (dir), Paris Est, 2012. . C’est le cheminement d’une utopie qui tend vers le réel, un « vivre ensemble » naissant à la rencontre de l’art, la ville et l’environnement. Le défi est maintenant, pour les opérateurs urbains, d’entretenir ce patrimoine imaginaire de la ville comme une histoire qui n’en finit pas de se réécrire…

Article initialement publié dans l’Observatoire no 47, hiver 2016.