TNP de Villeurbanne, compagnie Aérosculpture. Crédit photo : Fiona Blair, ville de Villeurbanne

Jeudi 11 mai, 10h – Ouverture

Prises de parole par Sybille Kropfeld et Erwan Noel, impliqués dans Villeurbanne 2022, capitale française de la culture

  • Marc Drouet, directeur régional des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes
  • Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne
  • Vincent Guillon, codirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles (OPC)

Entre apports de spécialistes et animation de controverses, ces deux journées visent à interroger plusieurs problématiques culturelles comme autant de perspectives pour renouveler les politiques de la jeunesse. Vincent Guillon rappelle à cet égard quelques questions qui sous-tendent les débats : les jeunes se désintéressent-ils des sujets culturels ou en investissent-ils de nouveaux ? Sont-ils peu concernés par la politique ou font-ils de la politique autrement ? Quel est le sens politique des dispositifs d’accompagnement et d’encadrement qui leur sont adressés ? Les différents âges de la jeunesse appelant des questionnements spécifiques, trois séquences jalonnent ces rencontres : le temps de l’enfance, la vie adolescente et l’entrée dans l’âge adulte. 

11h – Table ronde. Prendre position : quelle politique pour la jeunesse ?

Animation : Édouard Zambeaux, journaliste

  • Alice Barbe, entrepreneuse, cofondatrice de SINGA
  • Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif
  • Augustin Vicard, directeur de l’Institut de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)

Entre fascination et injonction à agir, tout le monde s’autorise à avoir un avis sur la jeunesse. Mais connaissons-nous réellement les causes qui l’animent, les sources de son engagement et n’y a-t-il pas des présupposés à déconstruire ?

UNE jeunesse On aborde la jeunesse comme un tout homogène, or ce sont des expériences de vie très différentes et on ne vit pas la même jeunesse selon le genre, le lieu d’habitation ou le niveau de diplôme. Augustin Vicard rappelle à ce titre quelques chiffres : 50 % de chômage chez les jeunes non-diplômés ; 30 % d’entre eux seulement ont un logement autonome.

Regain d’intérêt pour l’éducation populaire. Longtemps « ringardisée », l’éducation populaire revient sur le devant de la scène. Qualifiée d’état d’esprit avant tout, c’est aussi, selon Claire Thoury « une méthode qui inverse le rapport de l’individu à l’acquisition de connaissances ». Elle redonne du pouvoir d’agir, décomplexifie ce qui paraît inaccessible et amène de l’espoir.

Éducation à la citoyenneté et droit de vote à 16 ans. Pour Alice Barbe, les jeunes ne réclament pas le droit de vote à 16 ans, ils ne se sentent ni assez légitimes ni assez outillés pour voter. C’est justement à cet « outillage » que s’emploie l’Académie des futurs leaders avec son cursus de formation : « Le combat ils le connaissent, mais il faut leur apprendre à le mettre en œuvre. » Augustin Vicard rappelle également que l’introduction du droit de vote à 16 ans ne suffit pas. En Autriche, il est accompagné d’une éducation morale et civique au lycée. Mais Claire Thoury tempère et pousse la réflexion jusqu’à ce paradoxe : si le droit de vote est conditionné à une quelconque formation, alors le principe devrait être valable pour tous. Pourtant, « On ne se pose pas la question pour les personnes âgées. »

Injonction à l’engagement. Pour Claire Thoury, « l’engagement est devenu le Graal des politiques jeunesse », mais le risque est qu’il s’institutionnalise et qu’il ne soit plus pensé par les jeunes eux-mêmes. L’idée germe, par exemple, de vouloir valoriser le service civique et le SNU sur Parcoursup. Pour Augustin Vicard, ce serait courir le risque de creuser davantage les écarts dans les trajectoires des jeunes, quand on sait que les jeunes des familles aisées sont ceux qui s’engagent le plus.

Terrains d’engagement de la jeunesse et radicalité. Augustin Vicard constate que l’engagement des jeunes pour l’écologie et la lutte contre les discriminations s’incarne davantage dans le plaidoyer, tandis que d’autres causes trouvent plus facilement des terrains concrets d’engagement. Face à une offre politique qui ne répond plus aux questions prioritaires que se posent les jeunes (système de soin, discriminations, violence faite aux femmes, urgence climatique…) et face au sentiment d’inefficacité des institutions qu’ils éprouvent, ils optent aussi pour d’autres voies. Pour Claire Thoury, une forme de radicalité émerge, car il y a effectivement de grandes causes qui nécessitent des changements immédiats : « On ne peut pas regarder la planète qui brûle sans être radical. » Alice Barbe appuie ce constat : leur légitimité à servir et à agir peut passer par la désobéissance civile et l’illégalité. Elle met en avant la pensée systémique qui prévaut chez les jeunes : il leur est impensable de lutter pour le climat, sans lutter contre les inégalités sociales. En cela, les jeunes nous confrontent à cette question : « Comment sortir de nos couloirs et articuler plusieurs combats ? » 

Séquence 1 : Le temps de l’enfance

13h30 – De l’éveil à la « santé culturelle » des enfants : considérer les premiers pas

Animation : Cécile Blanchard, rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques

  • Sylvie Octobre, sociologue, DEPS, ministère de la Culture
  • Christian Ruby, philosophe

Le rapport de Sophie Marinopoulos, remis en 2019 au ministre de la Culture, alertait la puissance publique sur la « malnutrition culturelle » existante chez les tout-petits et insistait sur la nécessité d’un éveil culturel et artistique dès le plus jeune âge en l’inscrivant dans le quotidien des familles. Mais le concept de « santé culturelle » va-t-il de soi et quelles questions soulève-t-il ?

La santé culturelle, un concept normatif. Les deux intervenants éprouvent le même embarras à l’égard d’une notion qui, en creux, sous-entendrait qu’il existe « mauvaise santé culturelle ». Ils nous alertent sur sa potentielle normativité. Christian Ruby réfute en particulier l’idée que l’art et la culture soient éducatifs sous forme d’expériences obligatoires et rappelle que « le bonheur de l’éducation, c’est l’absence de cause finale ». Pour Sylvie Octobre, il y a effectivement dans l’éducation la volonté d’emmener quelqu’un vers quelque chose de bon pour lui. On peut assumer cette part de normativité à condition de savoir pourquoi on la porte et surtout d’en débattre.

L’éveil ne commence pas avec les dispositifs EAC. Si l’éducation artistique et culturelle est nécessaire à l’émancipation de l’enfant, elle n’est ni un besoin fondamental ni la page blanche à partir de laquelle tout commence. Pour Sylvie Octobre, à trop miser sur ces dispositifs scolaires, la famille est souvent pointée comme défaillante : « On a souvent l’impression que l’école arrache les élèves mal élevés à leur famille mal élevante. »

Sortir des discours projectifs. Les discours négatifs sur la jeunesse sont à considérer au prisme de nos propres projections, qu’elles relèvent d’un désir de transmission ou d’une responsabilité à incarner le « citoyen du futur ». Pour Christian Ruby, « les jeunes sont souvent les supports de nos propres angoisses. » Apprendre à considérer le présent de la jeunesse commence par s’intéresser à leur répertoire culturel. Et Sylvie Octobre de conclure : « Il faut apprendre la langue des jeunes. ».

14h30 – Résultats d’enquête. L’art à l’école : enquête sur le dispositif « minimixes » créé par Villeurbanne 2022, capitale française de la culture

  • Camille Jutant, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Lyon 2, laboratoire ELICO
  • Stéphane Frioux, adjoint au maire de Villeurbanne délégué à la culture, aux universités et à la vie étudiante
  • Bernard Sevaux, directeur de « Villeurbanne, capitale française de la culture »

Créés dans le cadre de l’année Capitale française de la culture, les minimixes ont été pensés comme des « espaces d’activités qui mixent les publics ». Plusieurs principes ont guidé leur conception :

  • La solidarité territoriale. Combler des « zones blanches » du territoire où l’EAC était peu présente et emmener des artistes dans les quartiers populaires.
  • Ouvrir le groupe scolaire à son environnement culturel. Créer une interface entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’école et les acteurs culturels de la ville.
  • Développer l’inclusion des parents dans la vie culturelle de leurs enfants.

L’enquête menée par l’Université Lyon 2 et l’OPC n’a pas vocation à évaluer le dispositif, mais à le documenter et comprendre la façon dont les différents types d’acteurs se le sont approprié. Plusieurs dilemmes en ressortent :

  • Faire coexister deux représentations de l’école sur le territoire : d’un côté, sa nécessaire ouverture à l’extérieur et, de l’autre, la crainte qu’on ne l’assimile à un centre de loisirs.
  • Tenir une ambition d’équité territoriale sans basculer dans une vision politico-administrative du territoire.
  • Centraliser une offre EAC sans tomber dans une logique de standardisation des propositions qui retirerait de l’autonomie aux acteurs.
  • Mieux définir les contours du métier de « coordinatrice » propre aux minimixes qui est pour l’instant tiraillé entre médiation et production. 

15h – Débat controverse. École des savoirs, école des compétences, école des arts ?

  • Christophe Kerrero, recteur de l’académie de Paris
  • Philippe Meirieu, pédagogue

Tour à tour, les deux invités ont rappelé les enjeux de l’éducation artistique et culturelle. Pour Christophe Kerrero, elle permet avant tout de faire sortir les élèves de leur assignation sociale et s’inscrit dans la grande tradition humaniste portée par l’école : « L’éducation artistique et culturelle est l’avatar de la démocratisation de la paideia. » Pour Philippe Meirieu, l’enjeu de l’EAC est de lutter contre toutes les formes d’enfermement et d’accéder au symbolique : « Elle libère nos enfants des gourous commerciaux en leur donnant la possibilité de se penser autrement et d’oser. »

L’EAC trouve-t-elle sa juste place dans les apprentissages scolaires ? Sur ce point, leurs avis divergent. Le recteur d’académie donne la priorité aux savoirs fondamentaux et rappelle que l’EAC peut trouver sa place dans toutes les matières. Chaque enseignant a, selon lui, toutes les compétences pour « nourrir les élèves de sa propre culture et les emmener sur le terrain de l’art ». Un point de vue que le pédagogue Philippe Meirieu ne partage pas. Pour lui, c’est au contraire une conception dévoyée des « fondamentaux » qui a contribué à écarter la vision émancipatrice de la culture dans les savoirs scolaires. Il y a, nous dit-il, une confusion entre les fondements (le projet de départ) et les fondations (donc les fondamentaux) et à trop s’acharner sur le « savoir lire, écrire, compter », on en oublie le sens : « C’est une pédagogie de l’exercice au détriment d’une pédagogie de l’œuvre qui accentue les inégalités. » Il appelle donc à se recentrer sur ce qui est au cœur de l’EAC : la construction du symbolique, la capacité à penser ce qui n’est pas là ou ce qui ne peut être montré, grâce à laquelle un enfant se construit et « se sent exister à travers ce qu’il ressent, voit et entend ».

Vue du public aux rencontres "Cultures et politiques de la jeunesse" à Villeurbanne
Fiona Blair, ville de Villeurbanne

Séquence 2 : la vie adolescente

16h30 – Faire avec les sociabilités et cultures numériques des adolescents

Animation : Dorie Bruyas, directrice de Fréquence Écoles, présidente de la MedNum 

  • Marion Haza, psychologue clinicienne
  • Dominique Pasquier, sociologue

Une discussion autour de « trois cas fictionnels », trois situations adolescentes et parentales face au numérique, décodées par une sociologue et une psychologue : Axel (13 ans) moqué sur les réseaux sociaux, Malika (15 ans) créatrice de fictions sur Wattpad et accro à ses abonnés, et enfin, Jim (19 ans) qui passe son temps sur Call of Duty après avoir laissé tomber sa prépa scientifique. 

La socialisation des jeunes passe par le numérique et leur participation aux réseaux sociaux. Montrer, en choisissant ce que l’on veut montrer, et faire valider des éléments de soi sur les réseaux sociaux font partie du processus adolescent. C’est à la fois une recherche de reconnaissance et une façon de s’inclure dans un groupe. Quand il y a situation de vulnérabilité sur les réseaux sociaux, on ne peut pas complètement dissocier ce qui se passe en ligne et hors-ligne : « Les moqueries sur les réseaux sociaux sont souvent le prolongement de ce qui se passe au collège », nous dit Marion Haza.

Niveau de diplôme des parents et rapport des adolescents au numérique sont corrélés. Dans les familles diplômées, les parents ont un discours critique sur le numérique qui permet une éducation à l’Internet. Dans les familles peu diplômées, l’usage du numérique est au contraire plutôt encouragé par souci d’« être comme tout le monde » ainsi que l’analyse Dominique Pasquier. Des différences sociales que l’on retrouve à d’autres endroits : la pratique de l’écrit en ligne concerne davantage les enfants de familles aisées et les pratiques créatives restent très marquées par le niveau de diplôme.

Passion ou addiction Les adultes portent souvent un regard dévalorisant sur les pratiques numériques juvéniles et les parents ne cherchent pas assez à s’intéresser à ce qui captive leurs enfants ou ce qu’ils y apprennent. Pourtant, ce partage leur permettrait de voir émerger leurs capacités et leur créativité. Les fanfictions sont une illustration des possibilités offertes par ce type de pratique créative et collaborative, de même que l’écriture en ligne permet d’entrer en contact avec d’autres lecteurs. « L’intérêt grandissant des 15-25 ans pour les vidéos scientifiques montre que quelque chose s’invente en dehors de l’école », ajoute Dominique Pasquier. Mais jeux vidéo et temps passé devant les écrans inquiètent. Si l’effet addictif existe, Marion Haza met un bémol : il y a addiction quand le numérique devient une activité unique sur un temps long. La préoccupation des parents est donc de veiller à la proportion et l’équilibre entre différentes pratiques. Et, comme le rappelle en mot de fin Dominique Pasquier, chaque époque a ses obsessions : « Souvenons-nous qu’avant on reprochait aux enfants de lire trop. »

17h30 – Résultats d’enquêtes. Le spectacle vivant au défi de la jeunesse et du numérique

  • Cédric Vidal, responsable – service éducation culturelle et lien social de la Métropole de Lyon
  • Sophie Keller, sociologue pour Nova 7
  • Yannis Adelbost, chargé de la communication numérique pour l’Auditorium-Orchestre national de Lyon
  • Lucas Peyrin, journaliste bénévole de la Pauze
  • Michelle Leano, organisatrice bénévole du festival Réel

À la suite de la crise sanitaire, la Métropole de Lyon a entamé une réflexion prospective pour éclairer les enjeux des médiations culturelles vis-à-vis des jeunes publics. L’enquête porte sur le rapport des jeunes à la culture et sur la place qu’y occupent les pratiques digitales afin d’outiller les acteurs du spectacle vivant dans leurs actions. Sophie Keller présente les grands axes de cette démarche menée depuis deux ans et les principaux enseignements qui s’en dégagent. 

  • Pop culture jeune versus culture validée par le monde adulte. Si les jeunes ont une vision étendue et ouverte de ce qu’est la culture (civilisation, patrimoine, grandes institutions du territoire, etc.), un décalage existe avec ce qu’ils incluent dans leurs pratiques personnelles.
  • Coexistence d’une culture subie et d’une culture choisie. La plupart des collégiens font coexister pratiques culturelles prescrites par l’école ou la famille et pratiques avec leurs amis. Néanmoins, ils censurent souvent ces pratiques « légitimes », jugées ringardes par leurs pairs.
  • Nouveaux espace-temps pour les pratiques culturelles. Culture de la chambre, spontanéité, scrolling… n’apparaissent plus vraiment compatibles avec le fait de passer des heures dans une salle de spectacle. À cela s’ajoute une véritable aversion pour l’anticipation d’une sortie culturelle.
  • Pratiques culturelles numériques et pratiques en présentiel. Le numérique est la porte d’entrée pour la découverte. Les jeunes partagent leurs conseils de lecture. Ils aiment le sentiment d’intimité avec les artistes et les producteurs de contenus. Ils ont parfaitement conscience qu’une expérience numérique est différente d’une expérience en présentiel, et ont aussi un recul critique sur le numérique.
  • Des sous-cultures diverses pour des jeunesses plurielles. Autoproduction, pratiques artistiques en amateur, envie d’être actif dans la vie culturelle et « faire par soi-même » sont les principaux traits valorisés par les cultures juvéniles. Les réseaux sociaux répondent encore à d’autres aspirations : nouvelles formes de politisation, interaction, authenticité correspondent à ce sentiment d’horizontalité qui est recherché.
  • Et si on imaginait la vie culturelle en 2040 L’atelier de design fiction mené avec les jeunes dans le cadre de cette enquête prospective fait ressortir ce qui sous-tend leur lien à la culture et ce qui pourrait devenir un défi partagé avec les acteurs culturels : s’impliquer dans la programmation de projets culturels, accéder à des lieux de culture originaux et informels où « l’on se sent comme chez soi », vivre des expériences participatives et immersives, partager ses centres d’intérêt avec sa communauté, se cultiver et apprendre des choses (les vidéos de vulgarisation scientifique étant en l’occurrence extrêmement populaires).

18h – Débat controverse. L’éducation artistique et culturelle en voie de dépolitisation ?

Animation : Camille Jutant, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Lyon 2, laboratoire Elico

  • Emmanuel Ethis, recteur de la région académique de Bretagne, vice-président du Haut Conseil de l’Éducation Artistique et Culturelle
  • Marie-Pierre Chopin, professeure en sciences de l’éducation et de la formation, université de Bordeaux, laboratoires CeDS (EA-7440) et Passages (UMR 5319)
  • Jérémy Sinigaglia, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Strasbourg, laboratoire SAGE (CNRS UMR 7363)

Dispositif phare des politiques publiques en direction de la jeunesse, l’éducation artistique et culturelle (EAC) fait l’objet d’un consensus, voire « d’un consensus un peu mou » tel que l’énonce Camille Jutant pour lancer le débat. L’injonction au chiffrage et à l’évaluation qui accompagne généralement le dispositif en fait-il un concept politico-administratif avant toute chose ? Son institutionnalisation a-t-elle contribué à « dépolitiser » ses intentions de départ ? Emmanuel Ethis, Jérémy Sinigaglia et Marie-Pierre Chopin confrontent leurs approches sur la situation de l’EAC aujourd’hui. 

L’entrée dans une phase d’industrialisation de l’EAC. Telle est l’hypothèse de recherche formulée par Jérémy Sinigaglia. Au regard de l’augmentation du nombre de projets encouragés par le 100 % EAC, on observe à la fois une transformation des process de travail avec de plus en plus de figures professionnelles qui interviennent, mais aussi une transformation des « produits » conduisant à leur formalisation et à une forme de standardisation. Marie-Pierre Chopin rappelle, pour sa part, que plusieurs phases ont conduit à cette formalisation. Elle retrace les débuts de l’EAC portés par des militants culturels dans les années 1970, puis la progressive « collecte d’expériences » visant à trier ce qui peut être reproduit et ce qu’il ne faut pas faire, la mise en place des classes à PAC guidées par le principe des trois piliers (l’acquisition de connaissances, la pratique artistique et la rencontre avec les œuvres)… autant d’étapes de cadrage qui ont peu à peu contribué à établir une doctrine de l’EAC. En témoigne, selon la chercheuse, un cumul de critères et de principes aujourd’hui présents dans le guide « 100 % EAC » dont on peut se demander quels effets ils provoquent sur les acteurs chargés de les traduire dans la pratique. À cette lecture sociohistorique de l’EAC, Emmanuel Ethis oppose l’objectif de conciliation qui a motivé cette évolution, et non l’ambition d’une doctrine. Il a fallu stabiliser une définition de l’EAC afin de réconcilier des visions très différentes, voire en confrontation, sur sa visée : éducation à l’art ou par l’art ? 

Généraliser sans uniformiser. L’enjeu du « 100 % EAC » n’est-il pas finalement de parvenir à des objectifs de généralisation fixés nationalement, mais adaptés à la diversité des territoires ? C’est en tout cas l’intention politique dont Emmanuel Ethis se fait le porte-parole. Marie-Pierre Chopin pointe néanmoins un certain nombre de difficultés dans son appropriation concrète par les collectivités. Cette généralisation de l’EAC fait apparaître de nouveaux métiers et périmètres d’action qui complexifient sa mise en œuvre : « certains opérateurs historiques en perdent parfois leur latin » et les acteurs culturels en viennent aussi à préférer des actions « clés en main » pour répondre à la demande des enseignants. Jérémy Sinigaglia observe également que l’institutionnalisation de l’EAC a entraîné une professionnalisation de l’action culturelle : initialement prise en charge par des bénévoles, la salarisation de l’activité engendre aujourd’hui une élévation du niveau de qualification, la création de postes entièrement dédiés au « 100 % EAC » dans les intercommunalités, la multiplication de corps intermédiaires… sont autant de changements qui, selon le chercheur, viennent complexifier la chaîne de production, sans que les différents acteurs ne partagent forcément un point de vue commun, au risque d’une perte de sens.

Séquence 3 : l’entrée dans l’âge adulte

Vendredi 12 mai, 9h30 – Entretien croisé. La politisation des jeunes en question

Animation : Joséphine Lebard, journaliste

  • Camille Peugny, professeur de sociologie, université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (Paris-Saclay)
  • Vincent Tiberj, professeur de sociologie, chercheur au Centre Émile Durkheim et délégué recherche de Sciences Po Bordeaux
  • Témoignage de Mariétou Cissé Siby, organisatrice bénévole du festival Réel

Sachant que 66 % des jeunes estiment qu’il est utile de voter, peut-on réellement parler de dépolitisation des jeunes ? C’est à cette question que Camille Peugny et Vincent Tiberj ont répondu en brossant le portrait d’une jeunesse plurielle, la métamorphose de ses engagements et les formes qu’emprunte aujourd’hui sa politisation.

Des clivages qui fracturent la jeunesse. Si, comme l’a déjà énoncé Bourdieu en son temps, « la jeunesse n’est qu’un mot », les deux sociologues donnent du sens à ce « mantra » en décrivant la diversité qui compose cette jeunesse. Camille Peugny rappelle que, parmi les 18-25 ans, 45 % d’entre eux seulement sont étudiants, les autres étant soit en emploi, soit au chômage. Être jeune ne revêt donc pas la même réalité selon le genre, l’origine sociale, le territoire sur lequel on a grandi… des clivages et des inégalités qui ont un impact sur leur rapport au politique. 

Le niveau de diplôme conditionne la politisation. La préoccupation environnementale ou pour les problèmes de société est présente chez les très diplômés, mais comme chez les adultes, un clivage existe parmi les jeunes concernant les questions économiques et sociales. Ainsi que le rappelle Vincent Tiberj, il faut aussi garder à l’esprit que « C’est un âge où la connexion à la politique se construit progressivement. ». 

Abstention et citoyenneté sont deux choses différentes. Les jeunes du xxie siècle ont un accès à l’information « en deux clics » et disposent, de ce point de vue, de moyens intellectuels et médiatiques bien plus importants pour jouer leur rôle de citoyen. L’abstention des jeunes n’est pas sociologique, « elle est au contraire très politique » nous dit Camille Peugny. Ce n’est ni un manque d’intérêt ni une méconnaissance des candidats, c’est une façon de signifier qu’ils ne se sentent pas concernés par l’offre électorale, car elle ne répond pas à leurs attentes. Une analyse qu’appuie Vincent Tiberj en rappelant que « voter ce n’est pas forcément choisir ou s’exprimer, c’est une remise de soi ». Les deux sociologues s’accordent à dire que ce sont des générations qui ont une soif de démocratie, de participation et d’horizontalité beaucoup plus fortes à laquelle la verticalité de la Ve République ne répond plus. Le système français laisse penser que tout peut passer par un homme providentiel. « Aux États-Unis, il y a des referendums révocatoires. En France, on est face à une démocratie qui a peur de ses citoyens », ajoute Vincent Tiberj.

Politisation et nouvelles formes d’engagement. Leur politisation passe aujourd’hui par les groupes de pairs, les réseaux sociaux, la famille et le niveau d’études. La tendance est de considérer l’engagement uniquement au prisme des partis politiques, mais n’est-ce pas mythifier le passé ? Les jeunes des années 1968 étaient-ils réellement plus engagés que ceux d’aujourd’hui ? Comme le rappelle Camille Peugny, les partis politiques n’ont toujours rassemblé que 1 à 3 % de la population : « Ce qui est nouveau, c’est l’inventivité associative ». Entrer dans un parti pour y faire carrière n’intéresse pas la jeune génération qui préfère la voie du militantisme associatif, où elle trouve des moyens d’agir concrètement sur le plan local (dans des Amap, du soutien scolaire, etc.). Pour Vincent Tiberj, « c’est une jeunesse qui pense aux autres et qui veut être dans le collectif. » 

Rôle des réseaux sociaux sur la politisation. Pour Vincent Tiberj, un des changements démocratiques majeurs tient à la fragmentation des audiences : « Autrefois, on assistait au débat politique au Journal de 20 heures, aujourd’hui on s’informe aux sources que l’on choisit. » Néanmoins, quel que soit le réseau social, des bulles de filtre existent. Ce que permettent les réseaux sociaux, c’est la montée de formes non conventionnelles telles que le boycott. Ils permettent d’interpeller le politique et de remettre en question la verticalité des organisations. 

10h30 – Résultats d’enquête. Participer ! Enquête sur le festival Réel dans le cadre de Villeurbanne 2022, capitale française de la culture

  • Camille Jutant, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Lyon 2, laboratoire ELICO
  • Lucie Verdeil, doctorante, Observatoire des politiques culturelles, Université Lyon 2, laboratoire ELICO
  • Prise de position d’acteurs du territoire

Camille Jutant et Lucie Verdeil présentent les premiers résultats d’une enquête réalisée par le laboratoire ELICO (université Lyon 2) et l’Observatoire des politiques culturelles entre avril et décembre 2022 auprès des jeunes participants et organisateurs du festival Réel, un événement conçu par des groupes de jeunes de 12 à 25 ans accompagnés d’équipes constituées de professionnels de la jeunesse et de la production d’évènements culturels. L’objectif de l’enquête : comprendre comment les participants vivent et racontent cette expérience de démocratie culturelle.

  • Si les attentes des jeunes en matière de participation concernaient principalement la possibilité de prendre la parole, de faire des choix sur toute la durée du processus, les jeunes déclarent en avoir retirer d’autres bénéfices à postériori : notamment l’acquisition de compétences et de connaissances, mais aussi la capacité à aller vers les autres (avec la circulation des savoirs et des expertises, ils se sont frottés à une forme d’altérité) et à s’exprimer en public comme en témoigne Mariétou, l’une des jeunes participantes invitée à prendre la parole sur la grande scène du TNP. 
  • L’expérience de participation, telle qu’elle est racontée par les jeunes interrogés, met aussi en relief la façon dont ils projettent le festival dans un contexte sociopolitique plus large. En effet, les liens entre motivations, désir de participation, engagement, analyse de l’événement, etc., révèlent une exigence et une préoccupation pour des enjeux sociétaux importants : la diversité musicale comme message politique ; la gratuité et l’accès des personnes en situation de précarité pour garantir le caractère inclusif de l’événement ; l’attachement que l’on peut nouer à son territoire par ses pratiques culturelles ; l’image des jeunes en société. Beaucoup de ceux qui se sont impliqués dans l’élaboration du Festival souhaitaient prouver leur engagement pour leur ville et déconstruire des préjugés attribués à la jeunesse. 
  • Cette aventure ouvre, pour les jeunes qui en ont été partie prenante, un certain nombre de questions : le festival sera-t-il reconduit ? Comment faire perdurer le groupe, constitué pendant l’organisation du festival, au-delà de l’événement ? Mais surtout comment continuer à alimenter leur désir d’engagement, d’apprentissages et d’expression ?

11 h – Débat controverse. Hacker le politique

  • Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba et AnvCop21
  • Allan Bouamrane, conseiller national des Jeunes avec Macron (JAM)

Autour de la table, deux jeunes militants qui s’engagent en politique de façon totalement différente, voire orthogonale : Allan Bouamrane est conseiller national des Jeunes avec Macron, Élodie Nace est porte-parole d’Alternatiba et AncCop21. Peut-on et doit-on, selon eux, « hacker le politique » ? La désobéissance civile est-elle le seul moyen de se faire entendre sous la Ve République ?

Bousculer les organisations ou entrer par effraction ? Pour Allan Bouamrane, les partis politiques sont en demande de renouvellement, mais sa génération y est encore trop peu présente. « Hacker le politique » consiste à faire bouger les lignes de l’intérieur, en faisant notamment des propositions qui ne figurent pas à l’agenda politique ou qui vont à contre-courant. Pour Élodie Nace, « faire de la politique ne peut pas être réservé à une minorité ». De ce point de vue, « Hacker le politique », c’est avant tout rendre visible ce qui est invisible, imposer les sujets qui préoccupent sa génération et « pousser des personnes politiques à se positionner ».

La désobéissance civile comme ultime recours. Si la mobilisation (manifestations, marches pour le climat), la formation, les lieux pour se rencontrer, les recours en justice et les pétitions sont les moyens d’action privilégiés par Alternatiba, les actions de désobéissance civile interviennent quand, dit Élodie Nace, « c’est tout ce qu’il nous reste pour faire pression » sachant qu’elles peuvent être lourdes de conséquences pour ceux qui les mènent et se traduire par des peines de prison avec sursis ou de la violence physique. Un choix que ne partage pas le représentant des Jeunes avec Macron pour qui ces actions sont plutôt contre-productives, notamment quand elles crispent l’opinion publique. Pour lui, « de l’intérieur aussi, on peut s’appuyer sur un cadre légal pour pointer du doigt des dysfonctionnements ».

La Ve République à bout de souffle. Plusieurs écueils dans le fonctionnement de la Ve République sont soulignés par Élodie Nace. Tout d’abord l’hyper personnalisation du système politique français alors que « cette idée d’homme providentiel ne répond plus aux besoins que l’on veut avoir » et qu’un autre type de leadership est souhaité. Ensuite, le fonctionnement de la démocratie elle-même. Face à l’échec récent du Référendum d’initiative partagée sur la réforme des retraites, l’enjeu de contre-pouvoir se fait plus fort et la méfiance envers les institutions s’accroît.

12h – Clôture

  • Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne et vice-président de la Métropole de Lyon délégué à la culture
  • Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse (intervention vidéo)

Dans une courte intervention vidéo, le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye, rappelle les enjeux du « 100 % EAC » pour l’égalité des chances. Soixante-dix-neuf collectivités sont aujourd’hui labellisées, mais l’objectif est de multiplier par cinq le nombre de collectivités impliquées. Il mentionne également le rôle clé de l’Inseac (établissement public d’enseignement supérieur au sein du Conservatoire national des arts et métiers) dont la mission est à la fois d’innover et de structurer un réseau de recherche et d’études sur l’EAC sur le plan national. 

Le maire de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, conclut ces deux journées. Conscient des attentes qu’a suscitées cette année « Capitale française de la culture », sa préoccupation porte désormais sur l’avenir : « que faisons-nous de cet héritage et des graines que nous avons semées ? ». Dans un contexte politique préoccupant et un moment économique de grande tension, le maire insiste sur l’urgence d’une réaction politique qui doit s’exprimer dans les politiques culturelles : « On n’a pas le luxe de s’endormir sur nos lauriers et de rester apathique lorsque la culture est en danger. » Aussi met-il Villeurbanne à l’écoute de tous ceux qui souhaitent conduire cette réflexion et engager une dynamique. Car, ainsi qu’il le promet « Villeurbanne n’a pas fini de s’occuper de culture ! »

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