Sortie de la crise de la Covid-19 et entrée dans un contexte de hausse des prix ; suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et d’une partie de la fiscalité locale sur les entreprises et remplacement de ces pertes de ressources par de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; volonté de flécher une part massive des investissements vers la transition écologique et poursuite de la mise en œuvre des programmes municipaux et intercommunaux de mandat… Les collectivités locales inscrivent leur action actuelle dans un contexte en mouvement, avec des injonctions parfois contradictoires, qui les oblige à des arbitrages sur leurs différentes politiques publiques.

L’observation de la situation financière des collectivités locales en 2022, telle qu’elle a été réalisée dans le dernier rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGLDonnées : DGFiP ; Traitements : département des études et des statistiques locales de la DGCL ; Champ : budgets principaux et annexes consolidés, pour les régions, les départements, les communes, les groupements à fiscalité propre et les syndicats., permet d’identifier les principaux impacts financiers de ces éléments de conjoncture. Petit tour d’horizon, non exhaustif, des résultats de ce rapport, pour une mise en perspective des évolutions de l’intervention culturelle des collectivités locales, notamment celles décrites dans le baromètre 2023 de l’Observatoire des politiques culturelles (OPC), dont certains résultats sont mentionnés ici Les principaux chiffres du texte sont issus du rapport 2023 de l’OFGL. Lorsque d’autres sources sont mobilisées, elles sont systématiquement sourcées en notes..

Dans un contexte de hausse des prix, des dépenses de fonctionnement en augmentation de +5,0 % en 2022

Dans un climat d’inflation marquée, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales (210,6 Md€) ont progressé de +5,0 % en 2022, soit un niveau plus soutenu qu’en 2021 (+2,9 %)Tous les niveaux de collectivités ont été concernés. Les augmentations sont plus sensibles pour les collectivités du bloc communal, puisque les dépenses de fonctionnement ont progressé de +6,0 % pour les communes, de +6,4 % pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et de +7,7 % pour les syndicats intercommunaux.

Pour les régions, les départements, les communes de plus de 3 500 habitants et leurs EPCI à fiscalité propre, les dépenses culturelles de fonctionnement non consolidées des budgets principaux connaissent des tendances assez proches, avec une hausse marquée en 2022 (+6,3 %), plus soutenue qu’en 2021 (+1,8 %), et un peu plus forte pour les collectivités du bloc communal. Les raisons de la hausse de la dépense locale en 2022 semblent ainsi avoir touché le champ culturel, comme les autres services publics locaux.

Les frais de personnel (75,1 Md€, 36 % des dépenses de fonctionnement) ont beaucoup progressé en 2022 (+5,3 %), après une année 2021 déjà dynamique (+2,8 %). Si l’évolution des effectifs en 2022, inconnue à cette heure, peut expliquer une partie de la hausse, l’essentiel de la progression provient de diverses mesures réglementaires, qui ont touché toutes les collectivités, comme la revalorisation de +3,5 % du point d’indice de la fonction publique à compter du 1er juillet 2022, ou la modification des grilles indiciaires des agents de catégorie B et C… Ces mesures, souvent généralistes, ont mécaniquement concerné la masse salariale du secteur culturel, qui représentait 49 % des dépenses culturelles en fonctionnement en 2020 Source : Ministère de la Culture – DEPS,  Dépenses culturelles des collectivités territoriales de 2015 à 2020, juillet 2023 ; Traitement : OFGL..

Regroupant notamment des dépenses sociales départementales (APA, PCH, RSA…), ainsi que des contributions et subventions versées à des tiers publics et privés, les dépenses d’intervention (72,6 Md€, 34 % des dépenses de fonctionnement) ont augmenté de 2,6 % en 2022, contre +1,3 % en 2021. Alors que les départements ont bénéficié d’une baisse de leurs dépenses de RSA, en lien avec celle du nombre de bénéficiaires de la prestation, ils ont à l’inverse du faire face à des évolutions soutenues des dépenses d’aide à domicile, dans un contexte de réforme de la filière (revalorisation salariale des aidants, instauration d’un tarif plancher pour une heure d’aide…). Du côté des contributions et des subventions, l’inflation subie par les partenaires des collectivités locales a eu un impact. Elle a par exemple conduit à des hausses des participations versées par les régions et les départements aux établissements d’enseignement du second degré, par les communes et leurs EPCI à fiscalité propre aux centres communaux et intercommunaux d’action sociale, ou encore par les départements et les collectivités du bloc communal aux services départementaux d’incendie et de secours… Dans le domaine culturel, le baromètre de l’OPC semble à l’inverse indiquer que la hausse des prix de l’énergie n’a pas eu d’impact (41 % des répondants), ou un impact limité (37 % des répondants), sur le montant des subventions versées par les collectivités en 2022 et 2023 Source :Baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales : volet national 2023, Observatoire des politiques culturelles, octobre 2023., ces dernières représentaient 32 % des dépenses culturelles en fonctionnement en 2020 Source : Baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales : volet national 2023op. cit..

Les achats et charges externes (51,3 Md€, 24 % des dépenses de fonctionnement) ont progressé nettement (+9,4 %), portés notamment par le très fort accroissement des dépenses directes d’énergie (+27,3 %). Cette hausse des dépenses énergétiques ne concerne pas toutes les collectivités de la même manière, en fonction notamment de leur poids relatif dans les budgets, des dates de prise d’effet des modifications tarifaires ou des mécanismes de limitation mis en place par l’État (bouclier tarifaire). Elle a également pu être limitée par une modification du fonctionnement de certains services publics locaux. Dans le domaine culturel par exemple, le baromètre de l’OPC fait état d’un maintien de l’ouverture (80 % des répondants) et des horaires (79 % des répondants) des équipements culturels, mais d’une modification de leurs usages (40 % des répondants), montrant ainsi des collectivités qui préservent leurs services, tout en les adaptant Source : Baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales : volet national 2023op. cit.. D’autres achats ont progressé aussi sensiblement en 2022, sous l’effet de l’inflation comme les dépenses d’alimentation (+14,4 %), ou en lien avec le retour à une situation de fonctionnement normal des collectivités locales après les ralentissements liés à la crise sanitaire (publicité, publications et relations publiques, frais de missions et de déplacement).

Enfin, les charges financières (3,9 Md€, 2 % des dépenses de fonctionnement) ont continué de diminuer en 2022 (-3,3 %), mais moins que précédemment (-6,7 % en 2021). Ce ralentissement est à rapprocher de l’inversion à la hausse de la courbe des taux d’intérêt observée en 2022. Cette dernière a un impact sur les conditions des nouveaux prêts souscrits pas les collectivités locales, ainsi que sur la partie de leur stock de dette indexée sur des taux variables.

En progression de +5,0 % également, des recettes de fonctionnement en croissance soutenue en 2022

Pour leur part, les recettes de fonctionnement des collectivités locales (258,1 Md€) ont augmenté de +5,0 % en 2022, sur la lancée des +5,3 % de l’année précédente. Comme pour les dépenses, la croissance des recettes concerne tous les niveaux de collectivités locales, notamment ceux du bloc communal (+5,3 % pour les communes, +7,1 % pour les EPCI à fiscalité propre et +5,4 % pour les syndicats intercommunaux).

La fiscalité locale a connu de fortes transformations en 2021 : perte de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour les communes et les EPCI à fiscalité propre, diminution de moitié des bases d’imposition des établissements industriels, descente de la taxe sur le foncier bâti des départements aux communes, transfert de TVA aux départements et aux EPCI à fiscalité propre, suppression de la part régionale de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). D’autres sont en cours en 2023 : suppression de la CVAE des départements et du bloc communal, compensation par une part complémentaire de TVA. Entre ces deux années, le périmètre des impôts et taxes (164,9 Md€, 64 % des recettes de fonctionnement) est plus stable en 2022. Ils augmentent globalement de +5,3 %.

En leur sein, les impôts directs locaux (68,3 Md€) progressent de 4,2 %, une partie de ces derniers bénéficiant d’une revalorisation forfaitaire des bases soutenue (+3,4 %). Mais la TVA (40,9 Md€) est l’impôt le plus dynamique : la recette perçue par les collectivités croît en effet de 9,2 % en 2022, bénéficiant de la reprise de la croissance économique après le choc de 2020 et de l’affirmation de l’inflation. À l’inverse, les droits de mutation à titre onéreux (20,5 Md€) ont marqué le pas cette année (+3,1 %), en lien avec le ralentissement du marché immobilier, mais restent à un niveau bien supérieur à celui d’avant la crise de la Covid-19.

Au sein des autres recettes de fonctionnement, l’enveloppe des concours financiers de l’État (37,2 Md€, 14 % des recettes de fonctionnement) a augmenté de 0,6 %. Les ventes de biens et services (25,4 Md€, 10 % des recettes de fonctionnement), qui correspondent par exemple aux redevances d’utilisation du domaine public ou aux recettes tarifaires issues des services publics locaux, ont beaucoup augmenté en 2022 (+9,5 %), comme en 2021. Après la forte baisse liée à la crise sanitaire, elles ont retrouvé puis dépassé leur niveau de 2019. Enfin, les subventions reçues (20,5 Md€, 8 % des recettes de fonctionnement) ont poursuivi leur forte hausse des trois dernières années (+5,8 % en 2022).

Les investissements locaux en 2022 : une hausse en valeur (+7,5 %), mais une quasi-stabilité en volume

En 2022, les dépenses d’investissement hors remboursements de dette (72,2 Md€) augmentent de +7,5 %, faisant suite aux +6,9 % de l’année précédente. Ces évolutions semblent surprenantes dans un contexte de début de mandat municipal, traditionnellement peu propice à l’investissement local. Si elles peuvent être soutenues par le décalage de certains investissements retardés par la crise de la covid-19, elles s’expliquent essentiellement par la hausse des coûts constatée dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics. Ainsi, pour les seules dépenses d’équipement brut (56,2 Md€, 78 % des dépenses d’investissement hors remboursements de dette), l’effet prix peut expliquer 40 % de la croissance en 2021 (+9,5 %) et 84 % de celle de 2022 (+8,7 %).

En investissement, les dépenses culturelles non consolidées des budgets principaux des régions, départements, communes de plus de 3 500 habitants et leurs EPCI à fiscalité propre affichent également une hausse en valeur pour une deuxième année de suite : elles progressent de +4,0 % en 2022, après +2,8 % en 2021. Si ces dépenses augmentent pour les départements et les communes, elles sont cependant en repli pour les EPCI à fiscalité propre. De plus, en 2022, les hausses constatées pour les communes et les départements restent bien inférieures à l’évolution des prix : l’investissement culturel en volume semble donc plutôt en repli.

Épargne brute et endettement : des équilibres financiers qui se maintiennent globalement

L’épargne brute des collectivités locales, qui correspond à la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement et contribue au financement de l’investissement, s’établit à 47,5 Md€ en 2022, en progression de +5,0 % par rapport à 2021, à un niveau supérieur à celui d’avant la crise sanitaire. Derrière ce constat global positif, les situations sont plus contrastées. L’amélioration est nette pour les EPCI à fiscalité propre et les départements, beaucoup plus faible pour les communes. À l’inverse, le niveau d’épargne brute des régions n’a pas rejoint celui de 2019.

Du côté de l’endettement, le stock de dette des collectivités locales s’est accru très faiblement, pour la troisième année consécutive (+1,4 % en 2022, après +1,4 % en 2021 et +2,7 % en 2020) et reste à des niveaux faibles, pour toutes les catégories de collectivités.

Pour finir, en 2022, les collectivités locales connaissent des résultats financiers dont la lecture est très perturbée par la hausse des prix, mais continuent à présenter des équilibres d’ensemble satisfaisants. Ces résultats globaux peuvent cependant masquer des différences fortes en considérant chaque collectivité individuellement.

C’est sur cette base que se déroule l’année 2023, dont les résultats financiers ne sont bien sûr pas encore connus, mais qui se profile comme une année indécise, avec des forces et des faiblesses. Du côté des dépenses : une poursuite de la hausse des prix et des taux d’intérêt, une nouvelle revalorisation du point d’indice de +1,5 % au 1er juillet 2023, mais un nombre de bénéficiaires du RSA toujours en baisse pour les départements. Côté recettes : une revalorisation forfaitaire des bases foncières de +7,1 % et une légère hausse en valeur de la dotation globale de fonctionnement, mais un moindre dynamisme de la TVA et un retournement des droits de mutation à titre onéreux. Dans ces vents contraires, quels auront été les arbitrages effectués par les collectivités locales, entre équilibres financiers et développement de l’offre de services publics ? Les résultats du baromètre de l’OPC apportent des éléments de réponse précieux dans le champ culturel.