Le baromètre sur les budgets et les choix culturels des collectivités territoriales formule, pour la deuxième année, des questions sur la transition écologique et les conditionnalités des financements délivrés par ces collectivités. Les 202 répondants Parmi les 202 répondants (contre 179 en 2023) : les 13 régions métropolitaines, 68 conseils départementaux, 73 communes, 45 intercommunalités et 3 collectivités d’outre-mer à statut particulier. dressent un paysage pertinent pour mesurer l’intégration des questions environnementales dans le pilotage et la gestion des affaires culturelles à l’échelon territorial. Les directions des affaires culturelles inscrivent désormais dans leurs priorités de politique publique « les transitions écologiques » comme l’avaient évoqué les Assises des DAC d’octobre 2022 organisées à Sète. Cette évolution, de plus en plus documentée Voir, par exemple, le diagnostic Culture et création en mutations publié en 2023 dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir (PIA) – Compétences et métiers d’avenir de France 2030 : https://cultureetcreationenmutations.fr, met en évidence l’importance des compétences des personnels culturels (dans les collectivités ou chez les opérateurs), la nécessité de nouvelles collaborations et coopérations dans un contexte réglementaire lui-même évolutif (achats publics au prisme de la loi AGEC Loi no 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire., exemplarité et sobriété notamment énergétiques, décret tertiaire pour la gestion bâtimentaire, etc.).
La transition écologique dans le secteur culturel à l’heure de la sobriété financière
Sans surprise au regard de leurs compétences, ce sont les régions qui mentionnent les priorités de « transition », « d’approche écologique » dans les choix culturels de leur exécutif. Elles revendiquent clairement ce registre d’actions tout comme les « logiques territoriales », au même niveau que les enjeux de « création artistique » ou d’« accès à la culture ». En revanche, les termes de « transition » ou d’« approche écologique » sont peu revendiqués de leur côté par les intercommunalités alors qu’elles ont en charge diverses politiques sur le sujet : plan climat, schéma directeur des énergies, autres documents de planification et achats publics responsables. Les départements sondés ne s’appuient pas sur l’objectif de transition dans leurs choix culturels Cf. graphiques p. 34 à 37 de la publication complète du baromètre 2024. malgré leurs compétences sur les espaces naturels ou agricoles. Sur le terrain, il semble encore difficile pour le personnel politique de porter dans une même doctrine les enjeux culturels et environnementaux. Ce constat est manifeste dans les différentes ressources https://www.culture.gouv.fr/fr/Thematiques/transition-ecologique Le premier document inspirant du MCC s’intitule « stratégie ministérielle de responsabilité sociétale, sociale et environnementale des organisations » et a été publié en 2017. du ministère de la Culture qui sont très récentes et dont l’origine remonte à l’accord de Paris (2015), une génération après le Sommet de Rio (1992).
De l’écoconditionnalité des aides financières
La conditionnalité des aides consiste à émettre des critères spécifiques à côté de l’objet principal du financement. Ceux-ci peuvent relever d’une appréciation dans l’instruction d’une demande de subvention ou d’une condition d’attribution, assise sur une documentation spécifique, des actions attendues, potentiellement mesurables en matière d’impact (gestion des déchets, consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre, personnel formé…). Moins d’une collectivité sur deux (86 sur 200 répondants à cette question) affirme ne pas conditionner ses financements.
Un quart des collectivités (48 sur 200) revendiquent des critères sur l’impact écologique, soit la même proportion que la condition d’égalité entre les femmes et les hommes. En 2023, un tiers des répondants reconnaissait l’existence du critère de l’impact écologique dans l’attribution des aides. Faut-il interpréter ces chiffres comme un léger recul, le constat d’une difficulté à les mettre en œuvre ou une incapacité technique des opérateurs à y répondre ? En 2024, la proportion est légèrement inférieure pour les régions dont on sait pourtant qu’elles sont très en pointe sur l’écoconditionnalité des festivals. L’émergence des « clauses de réemploi de matériaux », « d’écoconception » et d’« économie circulaire » en matière culturelle dans 69 collectivités symbolise cette évolution des savoir-faire dans le champ de la culture. Il conviendra de s’interroger ces prochaines années sur la mise en œuvre de ces critères et de leur contrôle d’exécution à la charge des services concernés.
Près d’un septième des collectivités développe également une préférence pour les fournisseurs locaux et, parmi elles, ce sont les départements, les communes et les intercommunalités qui sont les plus avancés, comparativement aux régions dont aucune n’évoque ce critère ! Là aussi, ces écarts sont à jauger au regard des compétences de chacun. Une collectivité chargée d’un projet alimentaire territorial (PAT) va chercher à développer des relations entre son secteur agricole local et ses opérateurs culturels. 48 collectivités incluent déjà des « clauses d’alimentation responsable pour les établissements ou événements culturels». Le sujet des critères environnementaux ouvre également celui des marchés publics dits « responsables » mis en œuvre pour construire ou rénover des équipements, commander des livres, des outils de communication, du mobilier ou des scénographies pour les expositions des musées et médiathèques notamment. Ce volet des achats responsables (avec des clauses sociales et/ou environnementales) concerne réglementairement les collectivités ayant plus de 50 millions d’euros d’achat. Il n’est pas abordé dans le présent baromètre.
De la coopération au quotidien
D’autres questions demeurent pertinentes dans un contexte de verdissement des priorités et des choix culturels des collectivités : sur l’évolution de la coopération en matière culturelle dont on sait qu’elle est emblématique de la prise en charge de la problématique écologique au quotidien. Le baromètre 2024 indique que la coopération en matière culturelle n’a pas évolué avec l’État pour 51 % des répondants et qu’elle n’a pas évolué non plus avec les autres niveaux de collectivités territoriales pour 47 % d’entre eux. La culture du « faire ensemble », chacun dans un périmètre de responsabilité et d’influence, doit émerger également entre opérateurs culturels, qu’il s’agisse d’une coopération de proximité (commençons par une coopération avec les services en charge des locaux mis à disposition !) ou à un niveau plus institutionnel (avec des services déconcentrés de l’État tels que l’ADEME ou la DREAL, des opérateurs de transport telle que la SNCF…) pour parvenir à une réelle transition environnementale du secteur culturel. Ce savoir-faire est pourtant historique dans plusieurs de ses filières (musées, spectacle vivant… avec la mutualisation des moyens, notamment des parcs matériels, l’optimisation des tournées, etc.) et ces actions sont déjà identifiées et déployées pour 74 des 202 répondants.
Transition écologique et emplois culturels
Une collectivité seulement sur cinq a connu une hausse de ses emplois culturels Cf. graphique p. 28 de la publication complète du baromètre 2024.. Leur stabilité, voire leur diminution pour 14 % des répondants, oblige les collectivités à développer des compétences sur la transition écologique en interne sans faire appel à de nouveaux profils, autour de formations continues et de nouvelles organisations, plus collaboratives avec d’autres directions impliquées. 84 collectivités (sur 202) mettent en place des actions de formation de leurs agents et 55 ont d’ores et déjà désigné une personne référente dans le service. En outre-mer, où la question de l’adaptation au changement climatique des opérateurs culturels est la plus prégnante, un tiers des répondants diminue ses emplois culturels !
Cette réalité laisse entrevoir l’émergence de nouvelles maquettes de formation pour les personnels en place, en lien avec le Conseil national des professions du spectacle (CNPS), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), l’Institut national des études territoriales (INET) et les organismes de formation qui se positionnent sur ces enjeux. Les Directions des affaires culturelles devront progresser sur le sujet de la transition écologique avec leurs propres ressources humaines. Le partage des enjeux avec d’autres services peut être recherché au sein de la collectivité, à l’instar d’une « gouvernance participative » par ailleurs évoquée dans le baromètre (critère de conditionnalité), mais qui ici concernerait le fonctionnement même des services culturels… La concertation avec les acteurs culturels du territoire en matière de transition écologique est bien revendiquée par 89 collectivités (dont 11 régions sur 13 répondants, 19 départements sur 68, 39 communes sur 73) lorsqu’elles sont interrogées sur les démarches engagées.
Une transition écologique encore à la marge dans la politique culturelle en 2024
La place de la transition écologique dans la politique culturelle demeure moyennement importante pour les collectivités. Elle peut être considérée comme un sujet à la marge pour les décideurs culturels, alors que les outils et ressources explosent sur la compréhension des impacts environnementaux des pratiques culturelles.
Selon le type de collectivité, elle oscille entre 2 et 3,8 points (moyenne sur 5) en degré d’importance. Les régions, les communes (notamment celles de plus de 100 000 habitants) et les métropoles sont les plus sensibles à ces enjeux (3 points ou plus sur 5) au contraire des départements et des collectivités d’outre-mer à statut particulier dont la maturité devra progresser. Les démarches mises en place se centrent pour la majorité des collectivités (110 sur 202) sur des mesures de sobriété énergétique (équipements culturels, adaptation du patrimoine, etc.). Dans le baromètre de 2023 Voir l’article « La question environnementale (écologique) dans les budgets et choix culturels des collectivités »., les répondants se disaient pourtant peu affectés par la crise des prix de l’énergie de 2022. Cette sobriété est désormais revendiquée par 25 départements sur 68 répondants, 48 communes sur 73, 13 métropoles sur 19 et 14 communautés urbaines ou d’agglomération sur 26. L’obligation dite « du décret tertiaire Rappel sur le décret tertiaire. » a probablement fait effet levier sur cette évolution.
La prise en compte de la transition écologique dans les budgets et les choix culturels des collectivités est engagée pour de nombreuses administrations culturelles sur le territoire. Le développement de l’outillage sectoriel par le ministère de la Culture (référentiels carbone pour les opéras, les scènes de musiques actuelles, les établissements de spectacle vivant en outre-mer notamment) et ses propres engagements énoncés dans le Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture donnent un cadre d’action pour les opérateurs culturels. Ces derniers s’interrogent toujours fortement sur cette prise en compte, à la demande de leurs tutelles institutionnelles locales ou sous l’impulsion de leurs propres équipes souvent volontaires à ce que la préoccupation environnementale irrigue les pratiques professionnelles quotidiennes, quitte à heurter parfois des choix de programmation. Il revient aux cadres culturels, ceux des collectivités autant que ceux des organisations soutenues par l’argent public, de développer un dialogue professionnel renouvelé, en interne ou avec de nouveaux partenaires selon le principe de coopération. Il s’agit bien d’une évolution notable du métier culturel, pas simplement d’un effet de mode !